DIMANCHE 7 DECEMBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 23:43

Ne dirait-on pas que je suis en train d’assurer le service après vente?

Alors que le blind date de vendredi est tout juste sorti du four, et cependant déjà épuisé, vendu, déjà consommé, et j’allais dire -excusez mon langage- déjà chié?

Les commerçants que nous avons été, pendant cette semaine, à l’instar du monde entier ( suivant Alain Georges) sont en plus, ouverts le dimanche, on dirait. C’est bien ce qui se discute en ce moment chez nos amis d’outre Quiévrain, avec un projet d’ouverture des magasins le jour du seigneur. J’ai entendu le ministre en débat avec un syndicaliste sur france inter, et celui-là défendait «la liberté de faire ses courses le dimanche». Ce à quoi le syndicaliste lui répondait d’abord qu’il s’agissait d’une commodité, et que ça n’a rien à voir avec la liberté. Comment le sens des mots est détourné, comment on les prend, on les emballe et on les vend pour autre chose qu’ils ne sont, apparaissait là tout à coup simplement. La liberté de consommer, on y a tous droit, c’est vrai.

Je ne veux pas faire de ce blog une tribune idéologique à 2 euros ( avouez cependant que c’est bon marché, et qu’à ce prix-là on fait une très bonne affaire, surtout un dimanche), mais le ministre en question, J-F Coppé, défendait le projet de loi avec des arguments qui étaient enjoués, dynamiques et creux du genre «quoi, on peut s’acheter des lunettes de soleil le dimanche, mais pas des lunettes de vue» (!?!). Si ce n’était que ça, ce serait ridicule, mais il prétendait aussi que ces travailleurs du dimanche seraient évidemment uniquement des volontaires (ils vont avoir le choix, tiens) et qu’il allaient gagner certainement plus, en travaillant plus (comme disait, euh, Carla Bruni?) Ces arguments étaient évidemment réfutés par le syndicaliste qui rappelait que dans la grande distribution, dans certains magasins déjà ouverts le dimanche ( et qui prennent des amendes) les gens ne gagnaient rien de plus, rien, et que rien + rien ca fait toujours rien. C’était presque un cliché de discussion du genre avec dans chacun dans son rôle. Mais cette pièce à l’argument joué et toujours rejoué sonnait sinistre, et à chaque fois le ministre, et ça c’était incroyable, montrait sa méconnaissance du dossier, c’est à dire qu’il ne connaissait simplement pas le droit du travail français, Bon, ce ministrel devait certainement avoir un type, ou une flopée de types qui s’occupaient de ça pour lui dans son cabinet, mais lui, il n’avait pas relu le dossier, ça c’était clair, et effrayant.

En Belgique, c’est autre chose, les choses sont moins tranchées, même si le dialogue patronat-syndicat vient d’échouer. Tout ça pour dire quoi? Rien, sinon, que dans notre branche, on ouvre souvent sans discontinuer, mais on sait pourquoi, et que ça fait partie du genre de vie qu’on a choisi. il y a quelque années, E. Savitzkaya dans «Fou Civil» racontait que transquinquennal c’était une petite quincaillerie, et je me suis toujours vu en tablier gris. C’est peut-être comme ça que je finirai.

Pour ce qui est du blind date de cette semaine, en fait, je n’en dirai rien, si ce n’est que ce fut un plaisir de travailler avec Arnaud Paquotte et de rencontrer son fils Lulu.

Miguel Decleire — 16:07

Maintenant que la présentation est faite, j’imagine que plus rien ne m’empêche de dire ce dont je voulais parler mercredi. C’est probablement très personnel, et comme tel, je ne sais pas vraiment si ça a vraiment sa place dans ce blog. Mais que diable, c’est en bloggant qu’on devient blogueron, et qu’un blog devient ce qu’il est. Allons-y donc du personnel.
Je dois avouer que le témoignage de ce monsieur qui a posté un long commentaire d’une photo prise par un Allemand de passage sur la photo du marchand de glace de Commerce, Oklahoma, m’a touché plus que je ne m’y serais attendu. Ce gars qui a 45 ans, donc notre âge à peu près, confit dans la foi inébranlable qu’on trouve dans les campagnes pelées américaines, parle comme s’il avait l’âge de Mathusalem de tous ceux qui sont déjà morts autour de lui. Sa quarantaine a l’air d’être particulièrement pénible, c’est le moins qu’on puisse dire face à cette parole complètement dépassée par un mal-être dont lui-même ne semble pas prendre la mesure. Peut-être que le fait que j’ai passé un an comme étudiant d’échange dans une petite ville perdue des États-Unis me le rend plus sensible, parce que j’ai ressenti un peu de cet abandon irrémédiable qu’on peut ressentir au milieu de ces plaines vides où la seule chose qui arrive sont des ouragans. C’est une étrange chose de s’approprier ainsi la parole et la solitude d’un homme perdu au fin fond de la plaine, et de la restituer comme ça, dans un commentaire improbable sur les impasses du commerce. L’effet de détournement de cette parole, qui se sent minoritaire sans doute, pourrie par tant de choses qu’elle ne sait comment s’exprimer, a sans doute eu des effets de tangente inattendus, en tout cas pour moi, et je ne suis pas sûr d’en avoir complètement fait le tour. Pour ce qui est du spectateur, comme d’habitude, n’ayant pas vu le spectacle, c’est très difficile de s’imaginer ce qu’il pouvait recevoir.
À part ça, je suis bien content d’avoir passé l’épreuve du feu comme batteur. Vous ne le saviez pas, hein, qu’en-dessous de Transquinquennal, la compagnie de théâtre, il y avait un groupe rock dormant.


SAMEDI 6 DECEMBRE 2008

Stéphane Olivier — 00:47

Le premier 45 tours qui m’évoque un souvenir était de Leo Kupper, pionnier Belge de la musique électronique, ce devait être au début des années 70, la pochette représentait un microprocesseur au milieu d’un circuit imprimé. La musique pythagoricienne (la gamme pythagoricienne est une gamme musicale construite sur des intervalles de quintes justes, dont le rapport de fréquences vaut 3/2. Elle a servi de base pour établir la gamme tempérée), n’est pas le domaine ou je me sens plus à l’aise, je ne suis pas musicien, et la pratique de la musique m’est étrangère (tout ça est peut-être lié) et donc ce soir c’était particulier. Moi ce qui me touche c’est le bruit (je sais c’est aussi de la musique). Mon premier souvenir marquant de théâtre, c’est «Les quatre fils Aymon» un ballet de Maurice Béjart et Janine Charrat dont j’ai dû voir la reprise vers 1970 (la création date de 1961) sous chapiteau, Grand Place, et dont la musique était de Pierre Henri. J’ai joué dans un groupe punk tendance bruitiste, et ce soir en manipulant mon système de synthèse granulométrique en temps réel j’ai retrouvé le goût de ces plaisirs. Le film que nous mettions en perspective avec notre musique ce soir s’appelait «I live in Commerce», lundi après-midi nous avons découvert le témoignage de Jeff Waltz qui commentait la photo d’un magasin de sa ville natale de Commerce Oklahoma. Vivre à Commerce, un juste métaphore.

J’ai un peu parlé avec Alain Georges ce soir, il avait suivi sur le blog notre mise a distance de son sujet. Il avait d’abord pensé a nous faire une proposition plus directement commerciale, dont il avait du mal a trouver une formulation tout a fait convaincante a ces yeux. Il a évoqué un vague projet, proposé a des artistes de faire boutique un an ou deux pour… et nous avons été interrompu ou je n’ai pas poursuivi.

Ça m’a rappelé ce qui nous est arrivé avec la table de ping-pong de «Vernisage»; Richard Venlet avait fait un ready-made d’une table de ping-pong en béton pour une expo. De table de béton elle avait changé de statut et était devenue oeuvre d’art (en dépôt chez un amateur). Nous voulions la présenter sur la scène des Riches-Claires, mais le transport d’oeuvre était sans commune mesure avec l’importation d’une nouvelle table de béton du centre de la France. Je me souviens m’être dit que c’était la vérité des ready-mades, ils prennent de la valeur par le transport, et c’est le transport qui le valide comme oeuvre d’art. Cette deuxième table de la série des «Sans Titre» (table de Ping-Pong) de Richard Venlet doit toujours se trouvé démonter dans les coulisses des Riches-Claire et je me demande ce soir si elle n’a pas encore plus de valeur comme ça; comme une étape supplémentaire. Ce qui me rappel cette histoire que me racontait mon père pour m’expliquer ce que c’était que l’argent (je ne suis pas sur de voir tout a fait le rapport) et qu’il disait avoir lu chez Margareth Mead a moins que ce doit chez Durkheim. Deux tribus sur un atoll au milieu du pacifique, la tribu A qui vit sur l’île pratique l’élevage et l’agriculture, la tribu B qui vit sur la couronne extérieure vit de la pèche. Les deux tribus font des échanges, mais les récolte-t-on lieu à la fin de l’été et les poisons se pêche en hiver, pour matérialisé le du qu’une tribu doit à l’autre (les pécheurs aux agriculteurs

en attendant les grandes pêches de l’hiver et ensuite les agriculteurs aux pécheurs en attendant les récoltes de l’été), elle s’échange une grosse pierre noire qu’il fonts voyager d’un village à l’autre sur une pirogue. Et le système fonctionne pendant des années. Puis la pierre tombe à l’eau. Et les deux tribus continuent à commercer en s’échangeant la pierre qui est au fond de l’eau.

Nous avons éludé deux éléments du sujet du Blind Date de ce soir, sans doute parce que’ils étaient trop implicites.

La question de la confiance qui s’établit entre le commerçant et le client (confiance qui a souvent disparu), cette confiance qui représente une autre quantité que celle de la valeur marchande. Et celle du prix, du juste prix, du prix à payer… tout ce qui lie l’argent et la morale. Jeff Waltz témoigne sur sa vie que celle d’une soumission, celle d’être soumis au commerce. Il y a au moins 2, 644 autres façons de vivre à Commerce.

JEUDI 4 DECEMBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 23:25

Tout nourrit le blind date. Notre fatigue aussi. Et elle est là, c’est évident. Il n’y a aucune lassitude mentale, mais notre résistance physique montre quelques signes d’essoufflement. En lançant l’opération, nous savions que nous y serions confronté et nous résistons bravement, mais la toux de Miguel se prolonge, le dos de Stéphane le fait souffrir et je suis affligé d’une tendinite à l’avant-bras. Des petits bobos, rien de bien grave, mais qui nous parlent de l’intensité de l’effort que nous fournissons depuis deux mois. Mais on s’accroche et il y des baumes « mentaux ».
Ainsi, en rentrant du studio aujourd’hui, dans le métro, je lisais l’interview que le philosophe Jacques Rancière a donné aux « Inrockuptibles » et qu’on peut lire dans le numéro de cette semaine. Passionnant. Ca donne envie de lire l’œuvre de ce monsieur, ce que je n’ai jamais fait, mais que je vais entreprendre dès que j’aurai un peu de temps (après les blind date ?). Et entre les stations « Etangs noirs » et « Comte de Flandre » Toni Negri, l’intervieweur de Deleuze a re-débarqué – via Jacques Rancière. Voici comment. Rancière répond à la question « au-delà du PS, comment faut-il penser la gauche aujourd’hui ». Il dit, entre autre, ceci, que je trouve très juste : « (…) Et puis, il y a effectivement un discours radical d’extrême gauche qui est pour moi une combinaison le plus souvent insupportable, où la critique marxiste du fétichisme marchand se mêle d’anti-démocratisme nietzchéen et d’apocalypse heideggerienne. Tomi Negri, c’est autre chose, parce qu’il donne de l’espoir, du positif (…) Mais c’est quand même encore quelqu’un qui veut vérifier que Marx a raison, à savoir que ce sont les forces productives qui vont faire exploser les rapports de production. Moi, je pense que les forces du système sont celles du système, que l’intelligence collective au service du capitalisme, c’est l’intelligence du capitalisme. Il n’y a pas à attendre l’implosion d’un système. » Il dit beaucoup d’autres choses extrêmement intéressantes dont ceci : « (…) je ne dis pas que toute révolution est d’abord esthétique. Mais si malgré tout la question du politique, c’est la question de quoi les êtres sont capables et de ce qui est possible, on peut dire que c’est une question qui relève de l’esthétique, si on sort l’esthétique de l’usage habituel de la philosophie du beau. La possibilité d’une subversion politique et sociale, c’est fondamentalement la subversion qui fait que ceux-ci sont capables de ça et seulement de ça, et d’autres sont capables de plus et ainsi de suite. (…) »
Ce sont des questions qui nous ont toujours beaucoup préoccupés, chez transquinquennal.
Et c’est amusant qu’elles me soient reposées maintenant, dans l’interstice entre Deleuze et Negri. Elles en évoquent d’autres, pas si lointaines qui sont associées à notre petite opération. Le ce dont on est capables et ce dont on est pas capables. L’amateurisme et le professionnalisme.La limitation à son domaine. L’acte artistique. Tout ça. Je vais terminer par cette dernière citation de Jacques Rancière : « Plus que la fabrique de bons spectateurs, instruits, légitimes, il faut pouvoir donner sa chance à un spectateur qui puisse trouver autre chose que ce qu’il est venu chercher. ». Classieux, non ?

Miguel Decleire — 22:56

Comme je n’ai pas plus envie de me pencher sérieusement sur une question ou l’autre qu’hier, je vais me poser des questions non sérieuses, ce qui est peut-être finalement mieux pour un blog, et même pour la philosophie en général. J’ai mentionné hier le point commun entre la musique et le commerce, c’est qu’il faut savoir compter. Je rajouterais aujourd’hui que le point commun entre les deux, c’est de faire des figures avec des nombres, dans des buts faussement évidents. En ce qui concerne la musique, on n’a pas trop de questions à se poser, le but – outre, bien sûr, la tractation implicite qui lie les musiciens aux auditeurs – est le pur plaisir de l’audition. En anglais américain, pour dire qu’une fille est belle, on dit « easy on the eyes », et j’aime bien cette expression que je viens de découvrir. Le but de la musique, qu’est-ce que ce serait d’autre que d’être « easy on the ears » ? Bon, ça rappelle un peu l’« easy listening » par rapport à la musique, et ça me plait tout de suite moins. Comme quoi, dès qu’il s’agit de plaire, il y a tout de suite quelqu’un qui est prêt à des compromissions.
Mais pour revenir aux buts de la comptabilité, comparés à ceux de la musique, nous sommes peut-être victimes d’une illusion collective. On pense que c’est un outil, précis et pragmatique, pour tenir des comptes sains, mais il vaut mieux tenir des petites listes à jour si on veut se tenir à un budget que de s’astreindre à une comptabilité en bonne et due forme, parce que la comptabilité est une vitrine : son but n’est que de montrer l’état de la richesse. C’est tout ce que j’ai appris pendant le court laps de temps où j’ai pris en charge la comptabilité de la compagnie. Dans le fond, tout n’est que affaire d’attribution, d’imputation. On est libre, en gros, d’imputer les montants où on veut pour faire bonne figure, pour que ça tombe juste, pour que la représentation soit conforme à ce qu’on désire. La comptabilité, c’est de l’esthétique, une sorte de danse de cour, de ballet, avec tout ce que ça comporte de dématérialisation. J’ai toujours pensé que les casinos étaient des lieux sacrés, parce que dans ces endroits clos et retirés du monde profane, la réalité change de nature, la causalité et la nécessité laissent la place au hasard. La comptabilité n’est pas très loin de ça, en ce qu’elle totalise en une figure harmonieuse une période donnée de vicissitudes et de dépenses de richesse amassées. Alors, finalement, oui, on peut dire que la musique et la comptabilité ont en commun d’élever, si on veut, l’âme. La seule différence, c’est qu’avec la musique, même si c’est plein de nombres et de quantités, il n’y a que de la musique.


Stéphane Olivier — 21:34

Demain nous présenterons l’avant-dernier Blind Date. Aujourd’hui on a un peu travaillé chacun de son côté, moi à la maison ou la connexion internet et la vitesse de processeur de l’iMac permettait de gagner un peu de temps. Ça m’a fait du bien, un peu de lumière de mon quatrième étage. Il fait bien sombre au rez-de-chaussée, et la lumière du jour se fait rare ces derniers jours. Si ont refait une «Blind Date party» un jour (pourquoi pas), si cela pouvait être au printemps ou en été, au soleil; je pense que ça ajoutera au spectacle.
On est rarement à la lumière du jour quand on fait du spectacle.
Le projet de Gropuis pour un théâtre idéal qui devait retrouver l’imbrication urbanistique du théâtre grec ; était une grande boîte avec plusieurs peaux de verre, transparente ouverte à la lumière du jour.
Ce matin Arnaud bricolait de petites choses avec son fer à souder, il a amené deux caisses remplies de trésor et il a fait le luthier. Une des choses que Blind Date a permis, c’est de bricoler, de chipoter, d’utiliser nos mains de pratique des techniques que nous déléguons.
«Ne serions-nous pas tous des commerçants?», non. Le commerce (activité, profession de celui qui achète et revend dans un but lucratif) domine le monde, sans doute pas pour sont bien. On voit mal comment un principe qui promeut la prise de bénéfices individuelle peut oeuvrer pour le bien de tous. La réflexion courante aujourd’hui, même chez les gens de gauche et ce malgré les dégâts humains et écologiques dont il est la cause, que le marché est la voie «naturelle»; dénote surtout d’un manque d’imagination. Ou si on est un peu pessimiste, démontre la force létale, virale et innervante du capitalisme.
Est-ce qu’on rira demain, on verra…

MERCREDI 3 DECEMBRE 2008

Stéphane Olivier — 22:17

Dans «Blitz» le spectacle qui essayait ce qu’on a fait dans Zugzwang, on avait paraphrasé un extrait du chapitre 9 des «Choses» de Georges Perec. Le sujet de cette semaine, l’argent, le commerce et le langage. Qu’y a-t-il derrière tout ça…. La même choses sans doute que ce qu’exprimait les sans-papiers il y a quelques semaines, une façon de continuer à croire dans l’espoir. Ce soir, je ne trouve rien de mieux que de retranscrire ce texte.

«Comment faire fortune. C’était un problème insoluble. Et pourtant, chaque jour, semblait-il, des individus isolés parvenaient, pour leur propre compte, à parfaitement le résoudre. Et ces exemples à suivre, éternels garants de la vigueur intellectuelle et morale, de la France, aux visages souriants et avisés, malins, volontaires, pleins de santé, de décision, de modestie, étaient autant d’images pieuses pour la patience et la gouverne des autres, ceux qui stagnent, piétinent, rongent leur frein, mordent la poussière.
Ils savaient tout de l’ascension de ces chéris de la Fortune, chevaliers d’industrie, polytechniciens intègres, requins de la finance, littérateurs sans ratures, globe-trotters pionniers, marchand de soupe en sachets, prospecteur de banlieue, crooners, play-boys, chercheurs d’or, brasseurs de millions. Leur histoire était simple. Ils étaient encore jeunes et étaient restés beaux, avec la petite lueur de l’expérience au fond de l’œil, les tempes grises des années noires, le sourire ouvert et chaleureux qui cachait les dents longues, les pouces opposables, la voix charmeuse.
Ils se voyaient bien dans ces rôles. Ils auraient trois actes au fond d’un tiroir. Leur jardin contiendrait du pétrole, de l’uranium. Ils vivraient longtemps dans la misère, dans la gène, dans l’incertitude. Ils rêveraient de prendre, ne serait-ce qu’une seule fois, le métro en première. Et puis soudain, brutale, échevelée, inattendue, éclatant comme un tonnerre: la fortune! Leur pièce serait acceptée, leur gisement découvert, leur génie confirmé. Les contrats tomberaient à la pelle et ils allumeraient leurs havanes avec des billets de mille.
Ce serait une matinée comme les autres. Sous la porte d’entrée, on aurait glissé trois enveloppes, longues et étroites, aux en-têtes imposants, gravés, en relief, aux souscriptions précises et régulières, frappées sur une I.B.M direction. Leurs mains trembleraient un peu en les ouvrant: ce serait trois chèques, avec des ribambelles de chiffres. Ou bien une lettre:
«Monsieur, M.Podevin, votre oncle, étant mort ab intestat…» et ils se passeraient la main sur le visage, doutant de leurs yeux, croyant rêver encore ; ils ouvriraient la fenêtre toute grande.
Ainsi rêvaient-ils les imbéciles heureux: d’héritage, de gros lot, de tiercé. La banque de Monte-Carlo sautait ; dans un wagon désert, une sacoche oubliée dans un filet: des liasses de gros billets ; dans une douzaine d’huîtres, un collier de perles. Ou bien une paire de fauteuil Boulle chez un paysan illettré du Poitou.
De grands élans les emportaient. Parfois, pendant des heures entières, des journées, une envie frénétique d’être riches, tout de suite, immensément, à jamais, s’emparaient d’eux, ne les lâchait plus. C’était un désir fou, maladif, oppressant, qui semblait gouverner le moindre de leurs gestes. La fortune devenait leur opium. Ils s‘en grisaient. Ils se livraient sans retenue aux délices de l‘imaginaire. Partout où ils allaient, ils n’étaient plus attentifs qu’à l’argent. Ils avaient des cauchemars de millions de joyaux. (…)»

Bernard Van Breusegem — 22:14

D’accord, nous sommes tous des commerçants. Mais pourquoi? Qu’est-ce qui nous y pousse? Le plaisir d’une relation somme toute agréable où les enjeux sont assez clairs? Le fait de rencontrer des personnes qui, pour être clients, n’en sont pas moins des hommes (ou des femmes )?

Il y a d’autres théories, et l’une de celle-là (Des sous et des hommes, Jean-Marie Albertini, Paris, 1985) nous dit que:

«a) le commerce, forme dérivée de l’échange, du troc, est une manifestation du sens élevé de la solidarité et de l’entraide entre les humains. b) il permet de dévier la violence entre les hommes vers les objets et, subséquemment, vers la monnaie (comprise dans le sens «argent»), un bien choisi pour permettre l’échange rituel. c)et que la vérité se situe sans doute entre les deux.»

Plus loin, M.Albertini, dit que «l’ordre économique, en détournant les violences originelles sur les choses, devait éviter aux groupes humains de s’autodétruire. L’imposition des contraintes économiques, voire marchandes, c’est l’étouffement des violences originelles dans des aliénations salvatrices qui complètent celles du sacré et du politique.»’

Et puis, citant Raoul Vaneigem (situationniste aussi notoire qu’anar, sortons le drapeau noir): «L’économie règne en châtrant le corps de sa totalité sexuelle» et «au coeur des plaisirs marchands, il n’y a que l’impuissance à jouir».

Waow! J’espère que le pain que j’ai acheté tout à l’heure ( le dernier achat que j’ai fait), ce pain coupé que j’ai payé 1 euro 40, est plutôt de l’ordre du petit a. Mais il est vrai qu’entre nécessité et plaisir, il y a un chemin qu’on aimerait franchir plus souvent. «Elle a de belles miches» est d’ailleurs une expression que j’ai toujours appréciée, et pas que dans les boulangeries.

Dans ce blind date, notre tâche est de peut-être de retourner à cette sauvagerie originelle, de refaire tout ce chemin avec «du sport et de l’amour», comme dit Arnaud. Nous nous y employons donc.

Miguel Decleire — 22:14

Donc, nous ne faisons pas de commerce au sens commercial. Pourtant oui, nous vendons ce que tous les experts en marketing font, nous vendons de l’attente, de la surprise. Et comment mieux vous allécher qu’en vous disant que nous allons prendre la tangente, comme nous invite à le faire Gilles Deleuze. Nous allons la prendre avec Arnaud Paquotte, notre invité, qui aime ça les tangentes, entendez par là les cordes tendues sur des axes, et frotter la tangente jusqu’à ce que ça vibre bien. Ce gars-là aime faire des machines à sons où tout est auto-portant et où le système se nourrit de lui-même, c’est assez fascinant, allez faire un tour sur son site, ça vaut le détour. C’est ça, parlons un peu de musique, pour changer. Nous allons parler musicalement du commerce, puisque la parole est pourrie. Comme si la musique avait besoin qu’on en parle. Une chose qu’on peut dire qui relie la musique et le commerce, c’est qu’il faut savoir compter. Eh bien c’est à l’ordre du jour aussi. Je ne vous en dirai pas plus. J’ai l’impression que nous sommes déjà bien avancés, nous ne sommes que mercredi et déjà le décor est planté, les choses suivent leurs cours tout doucement. Voilà, aujourd’hui, il y a des jours comme ça, je n’ai pas grand-chose à dire. En fait, je parlerais bien de quelque chose, de quelque chose d’assez intime par rapport à ce projet, mais comme il s’agit quelque part d’un blog promotionnel, je ne peux pas tout vous dire, ni vous confier tous mes états d’âmes. Et ce soir, je ne suis pas en veine de réflexions théoriques. Donc, donc, donc, donc.
Disons que l’injonction de Gilles Deleuze de détourner la parole peut avoir des effets insoupçonnés. Il y a des rencontres improbables. Les choses arrivent par des chemins détournés. Peut-être parce que mes parents sont musiciens classiques tous les deux. Peut-être parce que j’ai passé un an aux États-Unis après mes humanités. Peut-être parce que je sens qu’on est impatients d’essayer quelque chose. Bon, on en reparlera vendredi.


MARDI 2 DECEMBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 23:47

Michel-cet amateur de rugby dont je vous parlais hier- a dit aussi quelque part ceci: «ce que je ne peux voir au premier regard, je le vois moins encore en m’obstinant». Et bien, il y a du blind date là-dedans. D’un côté, nous continuons à assimiler la question, j’allais dire à la digérer, considérant le point de départ de monsieur Georges et son point d’arrivée et de l’autre, surtout, nous creusons les choses spontanées apparues rapidement, très rapidement parfois, des choses venues d’on ne sait pas où, et qui ne se justifient presque que par elles mêmes. L’idée arrive donc, elle débarque comme une invitée inattendue, elle nous fait un signe, ou un clin d’oeil. Alors on l’observe, on la regarde sous toute les coutures, on la considère.

Et elle nous aguiche. Elle nous semble bien roulée. Et plus on l’observe, plus elle elle continue à nous plaire. Ce qui nous semble donc une très bonne raison pour que, peut-être, cette chose plaise aussi à ceux qui viendront finalement la voir, mise en forme par nous. Cette mise en forme ne doit pas être prise à la légère. Mais la rigueur d’un raisonnement n’est en soi pas suffisante, et il s’agit moins de considérer l’objet qu’on construit que l’endroit où il va se placer dans l’imaginaire du public. C’est plutôt là que se situe la difficulté. Une métaphore ne fonctionne pas comme une formule chimique, où les mêmes molécules entraînent les même réactions. Non, cela se situe ailleurs. Higher? Je ne terminerai pas par une chanson, malgré notre invité musicien, mais par un poème intitulé «marketing» et librement inspiré de wikipédia: Marketing Marketing amont Marketing aval Marketing d’étude Marketing de l’offre Marketing de combat Marketing de réseau Marketing des services Marketing digital Marketing direct Marketing électronique Marketing expérientiel Marketing global Marketing humanitaire Marketing industriel Marketing international Marketing interne Marketing local

Marketing one-to-one Marketing orienté client Marketing participatif Marketing politique

Marketing relationnel Marketing sportif Marketing de persuasion Marketing sensoriel Marketing social Marketing urbain Marketing de sympathie

Cybermarketing Géomarketing Télémarketing Street marketing

Marketing viral Neuromarketing Marketing

Miguel Decleire — 22:31

Hier je prenais un peu la défense des commerçants, mais aujourd’hui je n’ai plus tellement envie. J’ai lu en entier l’entretien de Deleuze dont Alain Georges a tiré l’extrait, et, comme Stéphane hier, je n’ai pas vu que Deleuze parlait vraiment du commerce. Je soupçonne un peu notre commissaire d’essayer de nous vendre en douce la revendication de son état – sous forme d’une provocation de bon aloi, d’ailleurs, et qui a le mérite de nous faire méditer plus de quelques secondes, et en cela, le but est atteint. Mais pour moi, je comprends le commerce comme un échange entre gens plus ou moins égaux, alors que l’entretien porte plutôt sur la résistance de minorités dans un système de contrôle, ce qui n’est pas vraiment la même chose. Je pense que Deleuze parlait en fait – mais ce n’est pas explicite non plus – de la corruption, dans le sens d’acheter l’intégrité de quelqu’un ou d’une idée, c’est-à-dire que pour se faire entendre, la minorité doit parler les canaux de communication de ceux qui ont l’argent. On peut y voir du commerce, éventuellement, au-delà de tout état d’âme, mais mon affection récente pour les commerçants (qui ne durera peut-être pas) me fait encore croire que l’idée de commerce ne peut se comprendre que entre individus libres, adultes, consentants, et égaux. Bien sûr, on peut voir dans l’acte commercial une foncière injustice, parce que comme tel, il est revendiqué comme la mise à profit d’un déséquilibre social au profit d’un seul. Le commerçant tire son profit d’un écart d’espace-temps, il achète moins cher que là où il sait qu’il pourra revendre, par exemple, et tout son mérite est de jouer de ces fluctuations. À la base, qu’est-ce que c’est d’autre que de la spéculation ? Peut-être que tout le monde s’y retrouve à la fin, mais certains ont le choix d’exploiter une situation que d’autres n’ont pas le choix d’éviter. Dans ma tirade un peu koltésienne d’hier, j’avais complètement omis un terme, qui est la plus-value. C’est-à-dire que le prix que nous payons n’est pas la valeur de ce que nous achetons, mais un peu plus. Bien sûr, on peut argüer du fait que le commerçant nous rend un service, et que le bénéfice qu’il prend le rétribue de ce service qu’il nous a rendu en nous proposant ce dont nous avons besoin. Mais si moi je propose un service, je ne suis payé que pour ce service, qui est en lui-même le bien que je propose. Pourquoi alors devrais-je payer dans le cas d’un bien matériel le prix du bien plus le service proposé ?
Mais j’en reste toujours à ma vision utopique des fables du XVIIIe siècle, où il était évident que le contexte n’intervenait pas du tout, et que les individus évoluaient selon leur libre-arbitre souverain, pour démontrer à l’envi une thèse ou son opposée. Bien sûr que nous ne vivons plus du tout dans une société où les individus ont une quelconque place, quelle que soit leur métier, qu’ils soient commerçants ou pas. Nous sommes tous des amateurs, à vouloir nous obstiner à gagner notre subsistance sur des relations interpersonnelles. Aujourd’hui, le monde appartient bien sûr aux commerciaux des entreprises, et les marketeurs sont les rois au sein de celles-ci. Les clients et les fournisseurs sont tous englobés dans le même système, qui ne répond plus aux besoins des gens, mais qui les crée et les gère pro magna Capitali gratia, pour la plus grande gloire du Capital. Bon, là-dessus, je n’ai plus qu’à aller me coucher.


Stéphane Olivier — 22:06

Il y a un blanc à remplir entre ce qu’Alain Georges nous dit, et ce que Deleuze dit a Toni Negri. Deleuze parle de l’argent qui contamine tout le langage (la qualification monétaire de tout, le prix devenant un élément constitutif de la chose que le mot embrasse) et Alain Georges nous parle de commerce.

Si nous sommes tous commerçants, nous cherchons donc tous à acheter et revendre dans un but lucratif (But lucratif: «Volonté de réaliser un gain d’ordre pécuniaire.»). La définition est floue, mais je pense que par gain on doit entendre nom pas le chiffre d’affaires (la somme du montant des ventes [le chiffre d’affaires désigne le total des ventes de biens et de services facturées par une entreprise sur un exercice comptable.]), mais bien les bénéfices nets, c’est a dire le gain qui est fait lorsqu’on déduit du chiffre d’affaires tous les frais [le profit réalisé, toutes charges déduites. ]).

Marx à démontrer (je pense que c’est difficile de faire la preuve du contraire) que dans le système capitaliste afin de garantir un bénéfice net au propriétaire des moyens de production, le travail est toujours payé en deçà de sa valeur.

Littéralement, je ne revends rien de ce que j’achète avec la volonté de réaliser un gain pécuniaire (un bénéfice). Je ne dois pas trouver les moyens de ma subsistance dans le gain que je fais entre ce que j’achète et ce que je vends.

Qu’est-ce que je vends? Je vends mon travail, ma compétence. Je ne pense pas qu’il soit payé plus que ce qu’il vaut, et donc je n’en tire pas profit. La subsidiation de la culture a pour objectif de sortir celle-ci des mécanismes du commerce pour la rendre accessible à tous. Le coût réel de la culture est bien supérieur au coût de son accès (le prix des places).

Mais Alain Georges fait sans doute allusion à une forme moins littérale du commerce quand il nous demande si nous ne sommes pas tous commerçants. Sans doute qu’il se pose la question (comme en écho à Deleuze): "Est-ce que la parole, la communication, sont-elles pourrie? Sont-elles entièrement pénétrées par l’esprit de commerce; c’est à dire par la volonté de réaliser un gain (d’ordre pécuniaire, ou autre): non par accident, mais par nature." Bonne question?

LUNDI 1 DECEMBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 22:39

Le sujet de cette semaine nous emmène donc sur des rives que Mercure visite fréquemment. Dans la mythologie romaine, Mercure est le dieu du commerce, du vol, des avocats et, en sus, il est aussi le messager des dieux. Mais le sujet que nous a confié Alain Georges ne concerne que le premier élément. Et je vous arrête tout de suite, je ne me placerai pas dans la position légèrement condescendante, voire méprisante, de l’artiste de gôche qui dénigre le commerce de sa position confortable d’artiste subventionné. Ce serait un peu facile. Maintenant soyons clair: le commerce à tout crin m’horripile profondément, et un de ses piliers, la publicité devrait, selon moi ME LAISSER EN PAIX, et je ne parle pas de ceux qui essaient de me vendre chez moi par téléphone, le soir, toutes sortes de produits. Je plains les pauvres téléphonistes, même si je les agonis parfois d’injures à la place de leur patron. En fait je conchie le marketing téléphonique. Ceci dit, et ayant repris ma respiration, la conversation que nous avons entamée avec Arnaud Paquotte est des plus intéressantes. D’abord, relisant Deleuze interviewé par Negri, nous avons essayé de replacer la phrase dans son contexte, pour essayer de la comprendre. La parole comme élément corrompu par l’argent, en soi, nous semblait un peu excessif. C’est dans le contexte d’une "société de contrôle et de communication" qu’il faut l’entendre. Cette base établie, nous avons laissé flotter ensuite nos esprits vers le commerce des âmes, des esprits, des corps, dans un sens peut-être plus ancien. Pour tomber d’accord sur le fait que, d’une certaine manière, même si ce n’était pas conditionné par un échange de numéraire a) nous avons tous quelque chose à vendre b) commercer engage souvent une relation humaine, de personne à personne.

Nous avons aussi exploré, suivant en cela Mercure, la distance qui sépare le commerce du vol, le réel savoir-faire nécessaire aux affaires et sa part de séduction (le bagout du camelot, son parler quasi hypnotique, par exemple), de roublardise nécessaire, ou l’état d’esprit de fourmi de certains.

Beaucoup de choses en magasin, vous le voyez, et l’inventaire n’est pas complet.

Tiens, et pour clôturer cette nocturne, pour le même prix et sans aucune obligation d’achat, une petite citation que je m’approprierais volontiers de Michel de Montaigne, grand amateur de rugby (voir son traité "les essais"): "il n’est rien que je haïsse comme à marchander. C’est un pur commerce de trichoterie et d’impudence: après une heure de barguignage, l’un et l’autre abandonne sa parole et ses serments pour cinq sous d’amendement."

Stéphane Olivier — 22:36

Ce matin vers 10 h 15 min, c’était la première fois que nous rencontrions Arnaud Paquotte. D’une certaine manière, c’était notre premier vrai Blind Date. Arnaud Paquotte est musicien, et il n’y a pas beaucoup de musique dans nos créations (si on exclu «En d’autres termes»), pourtant Bernard est un excellent guitariste, et Miguel joue de a batterie et de l’harmonica. Moi j’ai fait du bruit pendant une dizaine d’années, il y a bientôt vingt ans dans un groupe d’inspiration punk. Du bruit, pas de la musique. Curieusement, je pense que la musique fait partie pour chacun de nous trois d’une sphère différente que ce que nous partageons dans Transquinquennal et que c’est peut-être pour ça que nous la convoquons rarement dans nos spectacles.

Dans le dictionnaire, le mot «commerce» à deux significations qui semble opposé, mais qui pourrait se rapprocher dans la citation de Deleuze. Commerce: 1_Relations sociales, amicales ou affectives entre plusieurs personnes. «Être en commerce avec, entretenir un commerce avec, lier commerce d’amitié avec.» 2_Activité, profession de celui qui achète et revend dans un but lucratif. «Courtier de commerce, employé de commerce, représentant de commerce, voyageur de commerce; avoir la bosse du commerce; être un homme de commerce; faire (un, le) commerce de bijoux, de tissus, du bois.»

"Peut-être la parole, la communication, sont-elles pourries. Elles sont entièrement pénétrées par l’argent: non par accident, mais par nature." bien que Deleuze parle plutôt d’argent, c’est Alain Georges qui parle de commerce.

Argent; par extension «Toute monnaie, qu’il s’agisse de monnaie métallique ou de papier-monnaie». Monnaie; «Pièce d’alliage ou de métal de titre, forme et poids caractéristiques, frappée sur l’avers et le revers d’une empreinte particulière, et garantie par l’autorité d’émission comme moyen légal d’échange, de paiement et d’épargne.»

L’argent pourrit la communication par pénétration. L’argent qui ferait par son usage de nous tous des commerçants? Je ne pense pas que j’achète et revends dans un but lucratif. Mais peut-être que je me trompe. Mais je fais commerce.

Miguel Decleire — 22:12

D’après le sujet de cette semaine, il appert que nous faisions du commerce comme M. Jourdain de la prose, sans le savoir. C’était dans la nature des choses, nous n’y pouvions rien. C’est d’ailleurs ce que m’a confié un ami commercial, il n’y a pas longtemps : pour lui, le rapport de communication le plus fondamental entre les peuples, entre les êtres, c’est ce qu’il appelle « l’acte commercial ». Somme toute, pourquoi cet a priori négatif par rapport au commerce ? Peut-être parce que ce sont les seules personnes qui sont claires par rapport à ce qu’elles prétendent être. Que reproche-t-on aux commerçants ? D’être charmants par calcul, de faire de l’argent sur notre dos, et de profiter de notre besoin pour s’enrichir, à nos dépens. La transaction conclue, si nous sommes libérés de notre besoin, il nous a couté, tandis qu’eux, qui n’en souffraient pas au départ, en ont en outre tiré du bénéfice. Il faut que l’achat que nous venons de faire ait pour nous une valeur très grande pour suppléer à cette double humiliation face au vendeur – une valeur toute personnelle d’ailleurs, et qui ne pourra jamais être quantifiée dans le cadre de cet échange social de base qu’est la transaction commerciale. Mais les commerçants sont clairs sur ce qu’ils font : ils vendent. Ils sont à l’affût de votre besoin et cherchent à vous vendre ce qui y répondra le plus fidèlement. Ils ne feront rien d’autre, mais ça ils le feront. On peut s’irriter de leur hypocrisie, du fait qu’ils habillent leur pratique d’un souci de notre personne qu’ils oublient sitôt la note payée. Mais c’est peut-être la nôtre, d’hypocrisie, que nous refusons de voir, tout aveuglés que nous sommes dans notre besoin : nous voudrions qu’ils satisfassent notre besoin, et qu’en plus ils tiennent notre personne à cœur ? et cela pour une somme ridicule ? et nous les apprécierions d’autant mieux qu’ils l’accepteraient avec bon cœur ? Pourquoi avons-nous donc tant à cœur d’ajouter humiliation sur humiliation, sinon pour asseoir notre supériorité sur eux, pour leur faire payer au prix fort notre honte d’avoir eu besoin d’eux ? En fin de compte, la défiance que nous éprouvons face au « commerçant » est peut-être similaire à celle que nous ressentons face à la personne qui nous a fait du bien. On s’en rend plus facilement compte dans l’autre sens : la personne à qui vous avez fait du bien, un jour ou l’autre, d’une manière ou d’une autre, vous le fait payer ; et le plus gratuitement vous l’avez fait, le plus cher est la note. Pour revenir au sujet, d’accord, peut-être que même quand il n’y a pas de transaction commerciale explicite entre deux êtres, il y a tout de même un échange quand ils communiquent l’un avec l’autre (commerce peut être un synonyme de communication). Mais dans son entretien avec Negri, Deleuze poursuit ainsi : « Il faut un détournement de la parole. Créer a toujours été autre chose que communiquer. L’important, ce sera peut-être de créer des vacuoles de non-communication, des interrupteurs, pour échapper au contrôle [de la société de communication]. » Quelle est la nature de notre transaction lorsque nous vous convions aux blind dates ? Est-ce qu’il peut y être question de la « valeur personnelle non-socialement quantifiable » susceptible de dépasser l’humiliation commerciale ? Hmm.



Paul — 2/12 10:55

"Revolution 9" starts with a conversation between George Martin and Alistair Taylor: Alistair Taylor: ...bottle of Claret for you if I'd realised. I'd forgotten all about it George, I'm sorry. George Martin: Well, do next time. Taylor: Will you forgive me? Martin: Mmmm...yes.... Taylor: Cheeky bitch. http://fr.youtube.com/watch?v=PG0wksBzKSc & http://fr.youtube.com/watch?v=M1G9wLGit4k&feature=related Well, do it next time. I forgot about it, George, I'm sorry. Will you forgive me? Yes.] Number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number Then there's this Welsh Rarebit wearing some brown underpants About the shortage of grain in Hertfordshire Everyone of them knew that as time went by They'd get a little bit older and a litter slower but It's all the same thing, in this case manufactured by someone who's always Umpteen your father's giving it diddly-i-dee District was leaving, intended to pay for Number 9, number 9 Who's to know? Who was to know? Number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9 I sustained nothing worse than Also for example Whatever you're doing A business deal falls through I informed him on the third night When fortune gives Number 9, number 9, number 9 People ride, people ride Ride, ride, ride, ride, ride Ride! Ride! 9, number 9, number 9, number 9 I've missed all of that It makes me a few days late Compared with, like, wow! And weird stuff like that Taking our sides sometimes Floral bark Rouge doctors have brought this specimen I have nobody's short-cuts, aha… 9, number 9 With the situation They are standing still The plan, the telegram Ooh ooh Number 9, number Ooh A man without terrors from beard to false As the headmaster reported to me My son he really can try as they do to find function Tell what he was saying, and his voice was low and his hive high And his eyes were low Alright! Number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9 So the wife called me and we'd better go to see a surgeon Or whatever to price it… yellow underclothes So, any road, we went to see the dentist instead Who gave her a pair of teeth which wasn't any good at all So I said I'd marry, join the fucking navy and went to sea In my broken chair, my wings are broken and so is my hair I'm not in the mood for whirling Um da Aaah How? Dogs for dogging, hands for clapping Birds for birding and fish for fishing Them for themming and when for whimming Only to find the night-watchman Unaware of his presence in the building Onion soup Number 9, number 9, number 9, number 9, number 9, number 9 Industrial output Financial imbalance Thrusting it between his shoulder blades The Watusi The twist Eldorado Take this brother, may it serve you well Maybe it's nothing Aaah Maybe it's nothing What? What? Oh Maybe even then Impervious in London Could be difficult thing It's quick like rush for peace is Because it's so much It was like being naked If you became naked

BLIND DATE 9

VENDREDI 5 DECEMBRE 2008

SUJET

Gilles Deleuze disait un jour à Toni Negri: "Peut-être la parole, la communication, sont-elles pourries. Elles sont entièrement pénétrées par l'argent: non par accident, mais par nature."


Méditons cela quelques secondes.


Ne serions-nous pas tous des commerçants?


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ALAIN GEORGES

Alain Georges est libraire à Ixelles. Sa boutique s'appelle Quarantaine, 43a rue Lesbroussart. Il a en stock trois exemplaires de « Pourparlers », Gilles Deleuze, éditions de Minuit, 10 euros.

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ARNAUD PAQUOTTE

Musicien et plasticien, Arnaud Paquotte collabore avec diverses formations de musique écrite ou d'improvisation libre, notamment en tant que bassiste.

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