SAMEDI 11 OCTOBRE 2008

Stéphane Olivier — 23:36

Vous avez vu la webcam ne marche pas… Et on écrit le billet du vendredi le samedi. Par ce que le vendredi après la représentation, ont a commencé par ranger la salle puis on est allé discuter avec les personnes qui était venu nous voir (pas avec toutes bien sure).

Et il n’y a pas de raison que ce soit différent les prochains vendredis…

Donc le billet du vendredi, celui qu’on écrit après la représentation du vendredi, on l’écrira entre le vendredi et le dimanche soir.

Pour ce qui est de la werbcam, c’est différent, elle est tombée en panne (plus précisément, le modem_routeur nous fait des pannes intermittentes) en enregistrant le Blind Date de vendredi. Heureusement, on a une sécurité qui sera bientôt mise en ligne sur le site. Et cette semaine on va remplacer le modem/routeur. Donc il y aura encore des moments «aveugle».

GD m’a envoyé un SMS, pour me dire qu’il avait passé une bonne soirée. Et qu’il avait de la sauce tomate sur ces vêtements. On avait fait des essais et normalement ça ne devait pas gicler jusque-là. Mais vendredi la passata a une peu fait comme tout, elle à été plus loin que ce qu’on avait répéter. Et c’était plutôt positif ce saut d’énergie face au public…

Il y a des petites choses que je voudrais ne pas recommencer la semaine prochaine. On a très vite été sur internet d’abord pour préciser le sens de la question ensuite pour trouver des illustrations ou des exemples des idées qu’on lançait. Je voudrais attendre lundi après midi avant de le faire, prendre plus de temps pour discuter entre nous. On a fait des essais «on stage» que jeudi, je me demande si ce ne serai pas une bonne idée de commencer plus tôt. Un peu tous les jours… pour ne pas seulement construire avec des idées désincarnées. Et puis prendre un vrai moment a midi, une vraie pause. Et puis on verra.

Miguel Decleire — 23:16

Voilà donc notre première semaine bouclée. On a pu faire l’expérience d’un premier trajet complet, et du lien qui s’établit entre le blog par exemple et la présentation. Je ne me doutais pas de quelle nature pouvait être ce lien, j’ai pu constater qu’il est fort, et que les spectateurs du processus ne se limitent pas aux 45 qui se sont déplacés le vendredi, vous êtes nombreux à nous suivre sur le blog, à nous surveiller de la webcam de loin en loin. C’est déjà une réussite de voir que l’accent que nous voulions mettre sur le processus du travail a porté. Tant mieux. Maintenant, bien sûr qu’il y a des choses qu’on peut pousser plus loin pour profiter plus pleinement de ce lien, et pour sans doute mieux rendre compte de ce même processus, de le rendre plus transparent.

Par rapport au travail, et aux questions qu’il a suscité, le fait que la question posée par Isabelle Berlanger et la démarche de Manah soient si différentes a été pour moi très très éclairant sur l’étendue des questions que le projet pouvait poser. Quel lien faire entre deux univers si différents? Est-ce que la question est même de faire un lien? À quoi sert le sujet? Comment travaillons-nous avec l’invité? Quelle priorités choisir, et en vertu de quoi? Beaucoup de questions qui, à mon sens, n’ont trouvé que des réponses parcellaires, inadéquates, inabouties. Bien sûr, il n’était pas question d’aboutir à quelque chose. À parcourir rétrospectivement le chemin que nous avons fait si vite, je me rends compte des enjeux de notre exercice, et je trouve que Isabelle et Manah nous ont fait cadeau d’une belle confiance. Elles pourraient tout à fait se sentir insatisfaites du résultat, mais la franchise de leur engagement, la curiosité d’Isabelle et l’aplomb avec lequel Manah a fait face à l’enthousiasme et au doute ont permis que ces questions puissent être posées avec une intensité que j’ai rarement ressenti, et j’espère qu’elles en ont retiré autant que moi. Je voudrais les remercier pour ça. Et aussi parce que fondamentalement, et le ton de ces billets pourrait le cacher, on s’est surtout bien éclatés.

Bernard Van Breusegem — 20:47

Je ne sais plus qui disait qu’un ami, c’était quelqu’un à qui l’on annonçait au téléphone qu’on avait commis un meurtre et qui répondait «où est le cadavre?». Cela se discute, et certains diront qu’il vaut mieux fournir à son ami le nom d’un bon avocat et les moyens de se l’offrir, mais brisons là. Hier, en découvrant le mot à moi adressé par notre cher ami D.L. de G., j’ai compris qu’il avait décidé de prendre momentanément sur ses épaules larges certes, mais pas si, le corps de la question, sans doute pour nous soulager, en attendant qu’elle fût tuée par l’abrupte représentation de ce vendredi. La question une fois enterrée, il peut sembler évident qu’elle ne se pose plus. Sauf que notre cher ami DL, dans cet élan de générosité, à fait éclore de cette question matricielle, en la prenant quelque peu en charge, des sous - questions (comme les bombes ont des sous -munitions hélas) toutes les plus pertinentes les unes que les autres qu’il a fait naître de nos billets mêmes.

Alors que faire? Se taire? Être d’un laconisme prudent? Surveiller sans cesse ses arrières pour essayer d’éviter que ce cher D.L. aille dormir à 23H46, sachant qu’il a rendez-vous le lendemain avec un vieux Grec qui lui donnera à la fois beaucoup de fatigue et une grande satisfaction? Oserais-je en sus avouer à notre cher ami que la question, loin d’être morte, bouge encore dans nos esprits et que la représentation d’hier n’a fait que confirmer ma première impression, c’est-à-dire que la linéarité des blind date n’est qu’apparence et que, pour moi, elles risquent de s’articuler autant sur un axe syntagmatique que paradigmatique. Aïe. Je sais qu’à ces mots, notre autre bon ami P.K., toujours à l’affût malgré l’heure tardive, et qui est toujours un peu juge et parti, si j’ose dire, va maugréer: «djeu, mais qu’est qu’ils jargonnent», et il n’aura pas tort. Allez, soyons clairs: pour moi, les blinddate se présentent comme des crêpes, soit on peut les rouler une à une pour les manger sans se poser de question, hop, soit en les mangeant, imaginer qu’elle ne sont que des éléments d’une pile qui constitue en fait un gâteau qu’on attaque, gloup, les questions étant naturellement la confiture qui en dégouline partout, smak.

Quant à la représentation elle-même, je n’en dirai rien, faisant confiance à S.O. et à M.D. pour dissimuler le cadavre.

JEUDI 9 OCTOBRE 2008

Miguel Decleire — 23:37

Alors tout d’abord pour répondre à mon ami D. L. from Gennevilliers. Je me rends compte qu’il faut faire bien attention à ce qu’on écrit. J’avais résolu un peu vite un problème stylistique hier, et du coup, vlan, voilà que je prête le flanc à un platonisme que je mets beaucoup d’énergie à combattre. C’est un comble. Bien qu’à la réflexion, un Ciel platonicien de l’outrage me plaise assez. Mais qu’il se limite à cela, alors. Que le Ciel platonicien se résume à l’outrage. Ça correspondrait à sa formation de lutteur.
Bref, il semble que je doive expliquer ma méprise, et ce qui m’a poussé à cette tant coupable négligence d’expression. Je sais qu’on dit «inventer» dans le cas bien précis de certaines découvertes, et j’aurais voulu pouvoir mettre l’«invention» de l’astéroïde de M. Zwicky sur le même plan que celle de son insulte préférée, mais je n’étais pas assez sûr que ce sont des planètes qu’on «invente» de la sorte. Dans le doute, je me suis rabattu, sans trop réfléchir, sur le pauvre «découvrir», me disant qu’à tout prendre, un scientifique de son tempérament pouvait se rengorger avec la même pétulance de découvrir insultes et corps astraux.
Comme quoi, il ne faut jamais avoir peur de dire n’importe quoi si on est sûr que c’est n’importe quoi qu’on veut dire. Je le jure, je ne le ferai plus.
Je pense que je vais dire un peu plus n’importe quoi dorénavant, parce qu’on arrive au bout de la semaine, et que, c’en est encore une preuve de plus, le sens de ce que nous produisons ne cesse de s’échapper.
Ce sera encore le cas demain, sûrement. Aujourd’hui nous avons travaillé au décor et aux costumes. Disons qu’on les a débrouillés. On verra dans quel ordre ils se combineront demain avec le reste, et si parmi les combinaisons infinies, mais je l’espère, dénombrables, celles qui auront lieu effectivement trouveront des atomes crochus dans le public.
Pour revenir à ton commentaire, cher D. L, tu m’as renvoyé à monsieur Gödel, et je suis assez sensible à son théorème d’incomplétude. Il me semble que c’est aussi le propre du langage de s’appuyer sur des choses indémontrables, et c’est sans doute pour ça que dans une discussion, la première partie, et souvent la plus longue, consiste à se mettre d’accord sur le sens des mots qu’on emploie ; la deuxième partie, plus courte, et généralement plus décevante, se résumant à manifester son accord («Ah, c’est ça que tu veux dire – alors d’accord») ou son désaccord («Oui, j’ai bien compris ce que tu veux dire, et je t’ai déjà dit que je ne suis pas d’accord»).

Bernard Van Breusegem — 23:07

Bon, aujourd’hui je ne commencerai pas par dire ce que tout le monde sait, c’est-à-dire qu’on est jeudi, le quatrième jour de la semaine! ça avance à quoi? Ce n’est qu’une une manière de me rassurer, j’en suis sûr, d’énumérer ainsi les jours comme les grains d’un chapelet. C’est pour oublier le fait que demain c’est vendredi, le cinquième jour de la semaine, celui qui vient avant le samedi, et qui assure la veille du dimanche, et que demain à 19H devant un public nombreux (45 personnes au maximum, on n’a pas tous la même définition du mot nombreux), on devra montrer ce qu’on a passé ce lundi, ce mardi, ce mercredi et aujourd’hui à faire avec Manah. Ah, j’allais oublier demain, vendredi, il reste demain, il y a tout ce qu’on va faire demain, et franchement ce n’est pas rien et ce sera même beaucoup. Et qu’est ce qu’on va faire demain, vendredi? Eh bien, sans doute, mais peut-être que je m’avance, la suite de ce qu’on a fait lundi, mardi, mercredi et aujourd’hui, jeudi et qu’on terminera donc demain -vendredi.
Vendredi, ça sonne bien, ça sonne comme un nom de personnage chez Daniel Defoe, ou chez Michel Tournier. C’est très avantageux pour nous d’ouvrir un vendredi. C’est bien mieux qu’un mardi par exemple, qui n’est jamais que le nom d’un baron vaudou. Veneris dies, le jour de Vénus, déesse de l’amour et de la beauté, va s’ouvrir à nous, et il faut dire que Vénus a pris aussi depuis lundi les traits de Manah Depauw ; qui a travaillé avec nous –ou est-ce nous qui avons travaillé avec elle?- mardi, mercredi, jeudi et qu’on verra pour la dernière fois demain, vendredi. Et ce fut un plaisir.

Stéphane Olivier — 22:55

Linéaire ou non. Peu importe ça se concrétise. Il manque une fiche. On fait des choix. On est d’accord sur beaucoup de choses. Le travail des jours précédent porte ces fruits.

La réflexion qui nous a poussés a créé un projet comme Blind Date est lié à la vision que nous avons des éléments qui constituent un spectacle. Il y a d’abord le sujet (bien sûr il peut y en avoir plusieurs, mais il y en a un qui a devancé les autres), puis le point de vue (l’angle de vue qui est posée pour développer le sujet) et la dramaturgie (ou la narration, le discours; la façon dont ce point de vue sur le sujet est déroulé devant le spectateur), et puis le style; ces quatre éléments que nous distinguons ne s’organisent pas. Ni dans un ordre linéaire, ni dans aucun autre ordre; ils se tressent dans le meilleur de cas, mais le plus souvent ils se nouent ou se pelotent.
Notre impression est que le point de vue, l’axe que nous posons sur les sujets que nous travaillons sont très proche les uns des autres, et que nous perdons beaucoup de la complexité de ceux-ci en les approchant d’une façon qui est plus liée a notre pratique qu’au sujet lui-même. En demandant à des commissaires étrangers au monde du théâtre de nous proposer un sujet, nous voulons nous ouvrir à de nouveaux sujets, mais surtout à de nouveaux points de vue (mais c’est sans doute la même chose).

Changé, faire évolué la façon dont nous nous posons des questions quand nous fabriquons un spectacle. Dix Blind Date ne seront pas de trop pour y arriver.

La sensation que ma vie se construit suivant un ordre linéaire est déterminée par une fonction biologique, ou une évidence de la physique. Mais à l’intérieur, est-ce qu’il y a un ordre? =

D. L. from Gennevilliers, again — 9/10 23:44

Cher Bernard, "lundi, mardi... vendredi", dis-tu. Une séquence qui a l'air tout ce qu'il y a de plus simple. Mais le mardi inclut les données du mardi, le mercredi celui des deux journées précédentes, etc. Et si, le jeudi, tu te réfères, cher Bernard, au travail des jours précédents, est-ce que la linéarité discursive n'est pas déjà rompue par un tel renvoi ? Est-ce que la non-linéarité n'aurait donc pas quelque chose à voir avoir la mise en mémoire, ne serait-ce qu'en mémoire de travail ? Est-ce qu'un texte n'est pas constamment doublé (ou triplé, etc.) par des textes parallèles plus ou moins fantômes qui contribuent à en enrichir le sens ? Aïe aïe aïe, plus ça va moins j'ai l'impression d'entrevoir le sens des termes mêmes de la question. J'aurais bien voulu être là demain pour le coup de grâce... Allez, vous nous raconterez ça si le prochain B. D. vous en laisse le loisir. Et là-dessus je t'embrasse, je vous embrasse tous et je vais me coucher, car j'ai moi-même, demain matin, un peu de Sophocle à réencoder sous forme plus apparemment linéaire pour mes étudiants...

MERCREDI 8 OCTOBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 22:41

Mercredi matin, l’empereur, sa femme et le petit prince …Bon, la chanson est précise quand au jour, aujourd’hui mercredi, mais pas quand aux participants, et surtout elle ne fait pas mention de Fernand de Saussure et de ses mânes qui, j’en suis sûr nous accompagnent depuis qu’on a lu la question d’Isabelle Berlanger. Ce Fernand de Saussure, je l’ai rencontré pour la première fois il y a 29 ans, alors que je traînais sur des bancs d’une vague école normale. (Cette école se définissait-elle comme normale parce que les autres seraient anormales?) En tout cas, j’y étais dans cette école, et l’on m’a présenté ce monsieur en préambule d’un cours de linguistique générale qui s’est étalé sur à peu près deux ans, si ma mémoire est bonne. À l’époque, ça m’avait fait forte impression et c’était pour moi une première approche du structuralisme en linguistique.
L’outil m’avait étonné, séduit, puisqu’il permettait de sortir du sens comme absolu fondateur de la grammaire par exemple. Mais je n’ai pas approfondi, loin de là, et les maigres notions que j’ai retenues de cette époque ont depuis lors été enfouies sous bien d’autre chose, quoique j’aie pu y retourner un peu en lisant au début des années 90 «lire le théâtre» d’Anne Ubersfeld, livre plus axé lui sur la sémiologie (et que je recommande grandement). Ce cher Fernand est donc une figure de proue, et il a certainement influencé le théâtre à travers des philosophes comme Foucault ou Derrida dont certains se revendiquaient dans les années 70-80 (Marc Liebens, par exemple). Pour revenir à la question d’Isabelle Berlanger, il est clair que je ne vais pas me remettre à la linguistique d’ici vendredi, et que les réponses proprement théâtrales que nous allons amener n’auront pas la rigueur d’un raisonnement qui peut-être à ce point mathématique. Mais le théâtre permet certainement de faire des choses que les mathématiques ou la linguistique ne permettent pas, et c’est aussi son intérêt. Mais laissez-moi rendre ici hommage à Fernand et remercier Isabelle pour les souvenirs qu’elle a fait remonter de cette période de ma vie. Alors, la question comme Madeleine de Proust?
PS: tiens, hier ou avant-hier, on a parlé de «Rain Man» avec Manah à propos de ce qu’on allait faire vendredi et aujourd’hui, j’ai entendu parler du vrai «rain man»: il s’appelle Lawrence Kim Peak et il n’est pas du tout autiste, il souffre du «syndrome du savant», et il est incroyable. Peut-être que j’en parlerai demain, mais rien n’est moins sûr…


Miguel Decleire — 22:03

On avait dit qu’on ne travaillerait pas avec les ordinateurs aujourd’hui. On a tenu environ une heure, ce n’est pas si mal. On voulait faire un montage des textes pour le spectacle, ce qu’on a fait plus ou moins. Ça a demandé un peu de réécriture aussi, alors les ordinateurs se sont rouverts. Pour le reste, on se tient aux consignes. On arrive le matin à 10h, on s’en va le soir à 17h. Et on y va de nos 300 mots du jour.
La présentation se constitue, on a même déjà des accessoires. Mais au-delà de ça, j’ai passé une bonne partie de la journée à essayer de trouver un chemin par où aller pour débroussailler ce dans quoi nous nous sommes mis : une sorte de jungle, issue d’une phrase un peu bizarre, mais heureusement que Manah est là, parce qu’elle a l’air de savoir où on doit aller, et en tout cas, elle y va. Ça me rappelle une phrase d’un texte qu’on a trouvé : « Il y a plus de logique dans une phrase que dans un discours, il y a plus de logique dans le petit que dans le grand. Pour comprendre un phénomène on ne doit pas se lever très haut jusqu’à embrasser d’une vue panoramique de vastes ensembles, mais au contraire, on doit rester près de la singularité du détail, de la petite différence propre à chaque phénomène. » Le même texte parlait de leurre panoramique, « qui nous fait croire que l’ordre des faits n’est perceptible que si l’on sort de leur détail essentiellement irrégulier ». Eh bien en ce qui me concerne, j’ai l’impression que le passage vers la phrase apporte plus de perplexité que de logique, mais c’est sans doute normal quand on commence par essayer d’avoir une vision d’ensemble, pour aller ensuite dans le détail. Aujourd’hui nous avons cousu des bouts de textes ensemble (comme pour les Dogons, en effet, le texte est pour nous un « tissu », c’est la même racine), et en les cousant d’autres sens apparaissent (au détour des lignes) et perturbent la vision d’ensemble. Je pense que contrairement à ce que l’énoncé laisse entendre, la présentation ne sera pas très académique. Les significations ne sont pas linéaires, elles sont souvent sphériques, et elles rebondissent d’un bout de texte à l’autre. Et quant au caractère sphérique, j’ai fait la rencontre hier par wikipédia d’un monsieur Zwicky, astrophysicien partisan malheureux de la théorie de la lumière fatiguée. Outre des astéroïdes (dont un qui porte son nom), il a également découvert des insultes, dont celle-ci : « bâtard sphérique », qui me plait beaucoup. Et pourquoi sphérique ? Parce que bâtard de tous les angles de vue.


Stéphane Olivier — 21:27

Troisième jour de travail. Ça va être court. La préoccupation de la pertinence (être dans le sujet) occupe encore une partie de mes pensées.
Je suis encore arrivé en retard ce matin (hier, déjà), quelques minutes, mais c’est le signe que mon pied ne c’est pas encore fait à la chaussure. Le rythme de la journée n’est pas encore intégré.
Et puis deux rythmes ce côtoient, le notre, ou l’on sent bien qu’on essaie de prendre nos marques, de ce ménager, de se préparer pour ce marathon et à côté de nous celui de Manah, qui elle court un 400m et qui veut en profité un maximum. Comment faire pour que tout le monde s’y retrouve.
La routine qu’on s’impose en période de création est pour moi un moyen efficace pour s’abstraire des contingences de l’organisation. D’une certaine manière une organisation routinière, presque réflexe dégage de l’espace pour la pensée et la réflexion, pour tisser des liens imprévus, laisser surgir des idées, ou tous simplement entendre d’autres points de vue.
A nouveau (comme si je devais me justifier, m’expliquer, me défendre) je me répète; je ne pense pas «comprendre» le sujet. Je suis même certain que je ne perçois qu’une parcelle de ce qu’il signifie. Je ne vois qu’une facette.
Mais il sera faux de prétendre que j’ai l’impression inverse quand je travaille sur un projet ou j’ai participé à la «définition» du sujet. Je ne comprends pas quel est le sujet des textes d’Eugène Savitzkaya, de Philippe Blasband, ou de William Shakespeare. Je m’approche. On s’approche. Et c’est ce travail d’approche, cette pensée en mouvement, qui suit un chemin qui constitue pour moi le principal attrait d’un art vivant.
Simplement ici, dans Blind Date, le sujet surgit d’un coup le lundi a 10 h. Les parts de compréhension et d’incompréhension sont concrètes, plus directement apparentes, pas du tout noyées dans l’exégèse qui se pratique toujours lors de la préparation d’un spectacle, et qui fait peut-être écran de fumée.
Un de nos objectifs ici, est de trouver les moyens de dégager avec plus de précision les lignes de force qui s’organise pendant la création d’un spectacle. En voilà une…=

D. L. from Gennevilliers — 8/10 22:18

Bonsoir les amis. Je découvre tout ça à l'instant, et je vais vous lire, bien sûr, mais voilà déjà ma première réaction au thème imposé. J’aime beaucoup la brutalité de la question brute, j’aime aussi que dans sa brutalité elle enveloppe une métaphore qui résume bien le nœud de l’affaire : si le langage doit se « débrouiller », est-ce à dire qu’il doive se sortir d’un embrouillamini initial, sorte de chaos écumeux de boucles entremêlées, s’il prétend tirer de son propre écheveau un unique fil assez souple et solide pour épouser dans tous ses virages acrobatiques et ses télescopages la non-linéarité de ce qu’il encode ?... Ca me rappelle ce que disait une analyste, dans une situation que vous pouvez deviner : elle parlait de « défilés du signifiant », et vous pouvez deviner aussi quelle autorité elle citait (elle arrivait très bien à faire entendre les guillemets...).... Elle disait cela à propos, par exemple, d'images complexes surgies dans des rêves, ou d'associations multipolaires : on est devant un carrefour, on le voit, et si on commence à détailler les chemins les uns après les autres, on avance peut-être globalement dans une certaine direction, mais on a perdu en route ce qui fait la qualité propre d'un carrefour : celle d'être un croisement, justement, ou comme on dit aujourd'hui, un noeud routier... Quand cette dame employait cette expression, je me rappelle que je voyais des phrases-caravane composées de mots-dromadaires (des chamots, peut-être ?) partir en longues processions à l’assaut de cols himalayens... Evidemment, quelque part le long du voyage, les pauvres bêtes allaient succomber à une embuscade : est-ce que les défilés ne sont pas faits pour ça ? Mais au fond, maintenant que j'y pense - même s'il faut se résigner à passer par les défilés, même si on risque le massacre à chaque passage, peut-être qu'on peut au moins jouer des ressources de la contrebande ? Un peu comme Ulysse fuyant l'antre du Cyclope ? Vous vous souvenez de Polyphème tâtant la toison de chaque bête signifiante (chez Homère, ce ne sont pas des camélidés, mais des moutons, alors va pour des mots-moutons), pour vérifier que nul ne s'enfuit - mais ces messieurs les Grecs, et Ulysse parmi eux, se sont accrochés, comme vous savez, aux boucles laineuses du ventre de ces braves bêtes, et parviennent à se défiler ainsi... De l'écheveau à la laine, je crains d'avoir un peu perdu le fil, mais disons que pour ce soir, cette boucle-là est bouclée...

D. L. from Gennevilliers — 8/10 22:51

« Bâtard sphérique » est joli, mais s’il s’agit par là de souligner la bâtardise à tous égards, pourquoi s’en prendre à cette pauvre sphère, ou plutôt à cette sphère pauvre, pauvre de ses seules trois dimensions ? Pourquoi Monsieur Zwicky s’est-il arrêté en si bon chemin, sans s’élever jusqu’à la bâtardise hypersphérique (d’ordre n, si tu y tiens, cher Miguel, on ne va pas chipoter pour si peu) ? Voilà bien des questions de littéraire, n’est-ce pas. Et à propos de questions, qu’entends-tu exactement quand tu dis que Monsieur Z. a « découvert » des insultes ? Des astéroïdes, je comprends ; des théorèmes, je crois comprendre ; mais des insultes ? Préexistent-elles dans un Ciel platonicien de l’outrage ? De façon plus générale, toutes les combinaisons syntaxiquement admissibles au sein d’un état de langue synchroniquement donné sont-elles déjà et depuis toujours effectuées dans une sorte d’intellect démiurgique constituant le support réel de toute énonciation concevable ? Pour reprendre une métaphore chère à ton cœur et aux Dogons (entre autres), tout texte est-il tissé de toute éternité ? Cervantes et Pierre Ménard n’ont-ils donc tous deux fait que déchiffrer identiquement l’une des pensées de l’entendement divin, pensée (complexe assurément) que nous connaissons sous un titre unique à travers la diversité des langues ? Tu me demanderas, à supposer que tel soit bien le cas, si la question posée au départ y gagne quelque chose. Va savoir... Soit un « tout » du langage que nous posons comme déjà réalisé dans l’entendement divin. Ce tout doit être composé d’un certain nombre de syntagmes. Ce nombre est certainement infini, mais infini de quelle sorte ? Dénombrable ? Ou a-t-il la puissance du continu ?... Et si la réponse est qu’il est infini d’ordre aleph-zéro, est-ce à dire qu’il ne pourrait transcoder une information dont le nombre de bits serait d’ordre aleph-1 (mais comment alors, en quelle « langue », ces bits pourraient-ils être libellés ?...) ? Qu’en dirait Gödel (en tout cas, ça ne le ferait pas rire) ? Pauvres littéraires que nous sommes, malcomprenants hyperboliques...

Ecate — 9/10 10:33

La bible. Mmh. En matière de langage : « Une chose dont on ne parle pas, n’a jamais existé. C’est l’expression seule qui donne la réalité aux choses », disait notre ami Oscar. C’est un bon départ, effectivement. Il n’avait pas tort, le garçon ! On dit d’ailleurs que la parole est salvatrice de bien des maux. (Pour en savoir plus, cf une certaine littérature appropriée : « T’es toi quand tu parles » ou « Parle-moi, j’ai des choses à te dire »). Bon, ok, « parole » + « langage » = pas tout à fait même combat. N’empêche que le langage sert quand même à l’expression de la pensée. Oui ou non ? Mais donc oui, les mots auraient cette capacité oh combien folle et à la fois précieuse et à la fois divine, de donner une réalité à nos pensées évasives et parfois dénuées de bon sens, il faut bien l’avouer. Donner un sens à notre existence. Mmh. Ce qui nous amène au livre Saint qui, semble-t-il, aurait quelque chose à voir, de près ou de loin, à chacun d’en juger, avec la fameuse question de la semaine. Mmh. Cette Parole Sacrée, la biblique, prouverait-elle simplement à l’homme qu’il a une origine ? Même abstraite ? Même lointaine ? En tout cas magique ! En tout cas qui lui permettrait de se dire qu’il vient bien de quelque part et que si ce « quelque part » est le fruit des entrailles de l’Autre, eh ben pourquoi pas. Mmh. N’empêche que si Adam et Eve avaient été asiatiques, Mademoiselle aurait mordu dans le serpent plutôt que dans la pomme et on aurait pu vivre au Paradis éternellement, nom d’un chien ! Mais au fond, peut-être que si Adam et Eve avaient été asiatiques, ou bien simplement si Eve avait été carnivore et curieuse de savoir si le goût de la chair de serpent était le même que celui du poulet (je m’suis toujours demandée…), bref, si elle s’était contentée de mordre le serpent (au fond, je ne lui en veux pas : à sa place, je crois que j’aurais opté pour la pomme)… à la question « Comment le langage se débrouille-t-il pour encoder dans des structures linéaires des significations qui ne le sont pas ? », nul n’aurait eu besoin de répondre ! CQFD ! Et oui, paraît que ça aurait été vacances toute l’année ! En supposant que le Paradis pourrait être autre chose qu’un brin de soleil sur le coin d’un jardin citadin, un p’tit cocktail avec rondelle de citron, l’odeur du lait chaud agrémenté de miel, le sable doux-brûlant d’une plage déserte, la dernière page d’un bon bouquin, une très très grasse matinée, le vent frais d’un dimanche automnale et même le gris du ciel belge en bord de mer, j’en passe et des meilleures. Un peu simpliste, au temps pour moi, mais néanmoins efficace pour goûter au Paradis ! Mais… a-t-on seulement besoin de mettre des mots là-dessus ? Toujours est-il qu’on se réjouit de voir l’ébauche d’une réponse à cette question, si réponse il est possible de trouver. Dieu seul le sait. Mais ça non plus, c’est pas sûr. Mmh…

MARDI 7 OCTOBRE 2008

Miguel Decleire — 23:08

Plus on regarde le langage de près, plus on entre dans la confusion. Quand on regarde dans les interstices, ce qu’on trouve, c’est du vide, de l’arbitraire complet. Le sens disparait complètement, et jusqu’à la possibilité du sens. L’évidence sur laquelle nous nous basons habituellement, que nous tenons pour acquise, s’évapore et laisse place à une panique presque viscérale. Nous ne sommes plus que des animaux face à l’univers, plein de l’effroi que provoque en nous le souvenir que le monde avait un sens.

J’ai cherché à comprendre un peu plus comment les logiciens voient les choses, et j’ai vite compris que je n’aurais jamais le temps de le faire avec leurs outils. Par exemple, pour rendre compte de la phrase: «John read every book that Paul did», on peut la transposer comme ceci:

∀x. book (x) ∧ read(Paul, x) ⇒ read(John, x).

C’est la formule simple, et si les maths ne sont pas trop loin, ça pourrait même être agréablement exotique, mais quand ça en arrive à ceci:

(|-λy.λx. x^read^y:!<dp, <dp, s>>: λx. λy. read(y, x);

[Σ: <dp, <dp, s>>: ξ |- Σ: <dp, <dp, s>>: ξ];

je préfère m’en tenir à l’axiome de Lewis Carroll, «En toutes circonstances, je me défie des kangourous», et déposer les armes.

Pourtant, quelques bouts de textes théoriques glanés à gauche et à droite me permettent de faire le lien entre la question posée et le matériel que nous accumulons en suivant la logique souterraine de nos recherches à quatre têtes, mais qui a trait de près ou de loin à l’aliénation, au décorticage forcené, à la volonté soit de rendre absolument linéaire le sens qu’on veut donner au monde, et de l’y faire entrer dans sa totalité, et à l’inévitable confusion qui en résulte.

Une question qui reste en suspens est celle du style, de la «poésie». Nous jouons beaucoup, au théâtre, avec ce qui se dit entre les lignes, les ellipses, les renvois, les jeux de «déjà vu», les cycles, les boucles. À strictement parler, c’est du domaine du commentaire, de la qualification de l’énoncé de base, mais nous savons bien que ça peut suffire pour en modifier profondément le sens, jusqu’à le contredire complètement. Mais comment le mesurer, comment en mettre la structure en évidence?

Nous sommes d’accord, je crois, maintenant, pour nous dire que le travail consistera surtout dans la manière dont nous organiserons les éléments de la présentation. Qu’est-ce que nous mettrons avant, qu’est-ce que nous mettrons après, et comment ça en modifiera la perception – ou non.

Bernard Van Breusegem — 22:43

«Dieu dit: «qu’il y ait un firmament entre les eaux, et qu’il sépare les unes des autres.». Et il en fut ainsi. Dieu fit le firmament et il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament de celles qui sont au dessus. Dieu appela le firmament Cieux. Le soir vint, puis le matin: ce fut le second jour.» Je ne sais plus qui a écrit ça, mais je sais que ça a fait de gros tirages. Et bien, pour nous aussi, ce fut le second jour, et on a peut-être été un peu moins productif que le type en question, mais je ne gagerais pas mon âme là-dessus. Plus sérieusement, cette idée d’énoncer les choses et qu’elles arrivent, pour qu’elles arrivent, rejoint en un sens la question qui nous est posée, là aussi, puisque le langage, est une création dans la linéarité, et que le langage déroule le temps autant qu’il le marque. Donc là je parle, je parle, pour faire passer le temps? Ou quoi? Qu’est-ce que je crée?
Pour rester dans des références bibliques, et que je sois damné si je sais pourquoi on gravite autour de ces champs-là, l’idée du paradis perdu qui me titillait hier soir est revenue. Cette idée était repartie, je l’avais oubliée et ce matin en venant à vélo au studio de la rue Gray, elle est revenue. Et voilà la suite la suite du billet d’hier. Parce que le travail, la transpiration, tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, etc, c’est cette idée de la chute, du paradis perdu. Donc, pour résumer, avant la chute, les hommes-et les femmes- vivaient sans travailler, sans aucune allocation de chômage, et après la chute, évidemment, ils ont dû s’y mettre. Et pour faire le lien avec ce qu’on fait, on gravite donc autour de l’idée du babil, de Babel, et John Milton et son «Paradise Lost» est arrivé sur notre tapis de jeu. Un poème épique anglais du XVI? Mais oui, et il devrait se mélanger sans doute harmonieusement à «Ilsa, louve des ss» et autres cochons n°311. Mais, il faut dire aussi que contrairement à l’autre type là-haut, on est moins sûr du déroulement des choses, mais que surtout, on ne travaille pas le samedi.


Stéphane Olivier — 21:31

Tu as raison Christine. Il doit s’agir de comprendre comment le langage se débrouille pour donner une seconde dimension à la langue. Comme il passe de la ligne droite au plan. Les éléments d’une formule logique ont une définition stricte, mais les mots… Et c’est peut-être ces frontières floues qui déplient l’espace. Aujourd’hui comme hier nous avons défriché toutes les directions que nous inspire le sujet, comment aurions-nous fait sans nous connecter au WWW, sans wikipédia, sans toutes ces déclarations d’intentions… On a recueilli une quarantaine de pages de matériaux, de textes, de vidéos qui s’accroche à notre sujet (comment le langage se débrouille-t-il pour encoder dans des structures linéaires des significations qui ne le sont pas?) en tentant de cerner la question en la prenant par l’autre bout; «Quand le langage encode des structures linéaires des significations qui ne le sont pas; c’est avec quelle intention, pour quel usage». Je n’en ai pas parlé tout de suite, mais «LTI, la langue du troisième Reich» le livre de Victor Klemperer m’est tout de suite venu à l’esprit. C’est SL qui me l’a conseillé il y a quelque mois, je le lis a petite dose tant j’ai parfois l’impression que ce récit des transformations que les nazis ont réussies a opéré sur la langue allemande a des points communs avec la cannibalisation du sens que les médias (le bras armé du capitalisme triomphant) pratique sous mes yeux.
Ce que je suis, face de la question d’Isabelle Berlanger ne me permet pas de répondre dans ses termes (ceux de la logique) a sa question (celle qu’elle c’est posé si longtemps). Ce serai du temps perdu. Mais interroger l’intention qui se cache derrière cette habilité de la langue a «encoder dans des structures linéaires des significations qui ne le sont pas» et en saisir les conséquences possibles ; là j’y suis. «To be or not to be…» peut importe la réponse, mais pourquoi Hamlet/ Shakespeare pose la question, et ce qu’elle entraînera a sa suite…=

Thomas Dawance — 8/10 12:07

Droit de réponse pour les nuls en math ! Voici, en un mot, une suggestion de réponse à la question : il n'a pas le choix, c'est le temps qui passe qui lui impose… Mais si le langage a le pouvoir de véhiculer des significations, c'est qu'il dialogue avec la pensée, l'influence et la structure. Si ce n'était pas ainsi les musiciens n'improviseraient jamais et les danseurs ne danseraient pas. Après tout, est-ce choquant, bizarre, ou même intrigant qu'il n'y ait pas de correspondance entre « structure linéaire » et « signification ». Pourquoi les significations devraient-elles être des structures linéaires ? Qui prétend ça, et quelle mouche l'a piqué ? S'agit-il d'une mathématicienne à la recherche du perdu ? Après tout, s'il y a encodage dans des structures linéaires (parole, écriture), c'est à cause du temps qui passe, bien plus que par l'effet de débrouillardise du langage. Le son et même la vue (témoignant du mouvement) n'existent que parce que le temps se déroule et non parce que le langage est débrouillard. Mais par contre, que, par l'encodage dans des structures linéaires ou pas - cfr. l'expérience de simultanéité et de perte de repères temporels des expériences chamaniques -, le langage ait comme pouvoir de véhiculer des significations, ça c'est super costaud. Chapeau, bien débrouillé MC langage. Le langage n'est pas seul, il est en étroit rapport avec la pensée (le cognitif), qui n'est jamais qu'une sorte de langage fictionnel attaché aux émotions et enfermé dans l'individu, mais pourtant en relation ouverte avec le monde grâce au langage, ce fameux véhicule du sens. On ne peut pas distinguer totalement pensée (comme première) et langage (comme second), … Si la pensée à son langage (lié à nos capacités langagières), le langage influence la pensée en retour. Il y a analogie et interaction. Ainsi, le langage déclenche les représentations et structure la pensée en communiquant des espaces de représentations et en communiquant en même temps des transformations que nous effectuons mentalement sur ces représentations. Le langage nous apprend à développer du sens qui nous apprend à développer de nouveaux langages, qui à leurs tours, nous permettent de développer de nouveaux sens, etc. Alors pourquoi poser la question comme si c'était le langage qui était le sujet, le héros du jour. Il est le véhicule que nous nous échangeons pour nous transformer. Par ailleurs, lorsqu'on considère que nous ne sommes conscient, mais pourtant bien réceptif, que d'une infime partie de ce que les autres nous communique (langage non verbal, image subliminale, …), ce n'est probablement pas la seule logique ou arithmétique qui vont s'arroger le droit d'ériger le langage au rang de débrouillard. Cordialement.

Christine Aventin — 8/10 18:07

Du langage, de la ligne, et du plan : Un peu de cosmogonie dogon... ! (ma source est "La parole du monde" de Geneviève Calame-Griaule, au Mercure de France, mais j'y vais un peu à la louche !) La notion de parole joue un rôle fondamental dans leur mythologie de la création du monde. Le premier Dieu, Amma, fabrique un placenta à partir de la parole contenue dans sa salive. Des jumeaux mis en gestation dans ce placenta, l'un est désobéissant : il sort seul et avant terme de l'oeuf du monde, et se met à commettre toute une série d'actes réprouvés. Notamment, il vole à son père la parole, qui la lui reprendra en lui coupant la langue et, pour sa punition, le transformera en Renard pâle (l'espèce existe vraiment — vulpes pallida). L'autre jumeau contenu dans l'oeuf est, comme il se doit, parfait, sage et obéissant. C'est par lui que les hommes à venir apprendront les techniques, notamment celle du tissage, et la parole. (Les Dogons associent dans un même signifiant l'étoffe et la parole — tout comme nous, d'ailleurs, qui parlons de la trame d'un récit, ou d'un tissu de mensonges !) De ces deux forces jumelles, se crée et progresse le monde : le Renard met du désordre (l'inceste, la mort, la nuit, la stérilité, la sécheresse), et Nommo range derrière lui sans pouvoir jamais tout à fait rétablir la perfection initiale. Or, s'étant mis, depuis sa naissance, en dehors des lois divines, le Renard échappe à l'une des grandes règles qui régissent la vie humaine : le temps, le temps linéaire, tel que le passé nous est connu et l'avenir mystérieux. Oui, ce Renard sans langue parle avec ses pattes ! Sa parole est spatiale, non linéaire, hors du temps; elle peut dire l'avenir. Ainsi "en dehors du village, dans la brousse, des vieillards savants tracent dans le sable des tables de divination; ils ont un langage codé, un ensemble de signes pour transcrire, avec des brindilles, des cailloux, des traits, les questions que leur posent les villageois. On place de la nourriture sur les tables et les petits renards pâles viennent la manger la nuit. Ils circulent sur les tables et laissent des traces de pas. Le lendemain, ces traces sont étudiées avec beaucoup de sérieux, les devins discutent entre eux de l'interprétation, qui est souvent ambiguë." Ch.

LUNDI 6 OCTOBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 23:59

300 mots. ça me semble beaucoup. C’est parce que je dois les écrire. Ce n’est pourtant qu’une part très minime de l’espace bloggien de blind date. Celui qui m’est donné pour essayer de rendre compte de l’opération lancée pour la première fois ce matin à 10H. Parlant du blog, une fois de plus nous nous sommes donné avec entrain, une contrainte. Si j’aime l’idée de contrainte en art, si je la trouve productive, je déteste portant l’idée de discipline. Surtout ce soir où je me sens si fainéant. Courage. S’encadrer soi-même. Se forcer. Nécessaire? Allons-y dans les clichés: l’art: 1% d’inspiration et 99% de transpiration. De la Valeur Travail. Du laboureur et ses enfants, etc… On va se faire mal, mais vous verrez ça fait du bien. Mouais. Je pense ce qu’il faut c’est 99% d’inspiration, et le reste suit, c’est de l’intendance. (ce vocabulaire militaire: je regarde en écrivant ceci, une émission sur les images de la guerre et la manière dont on montre aujourd’hui la guerre, ou plutôt dont on ne la montre plus, surtout quand on est du «bon» côté du manche, conclusion, je cite: «le reportage de guerre avait disparu» et «l’objectif est de montrer des images de la puissance américaine», comme la mise en scène de l’abattement de la statue de S.Hussein, et encore «les images sont contrôlées par le gouvernement et l’armée et le travail de la télévision est de les transformer en un récit mythique, comme le sauvetage du soldat Jessica Lynch»). Où est-ce que j’en étais? Oui: arrêtons toute cette transpiration sans aucune inspiration. J’imagine que je dis ça parce qu’aujourd’hui était une journée de grève nationale et que plein de travail s’est dissipé dans l’air, pfuit, tout ce travail belge possible est aujourd’hui resté virtuel et on a épargné des litres et des litres de transpiration, c’est sûr. Mais pour moi ce fut une journée non pas laborieuse, mais excitante, proprement excitante.
Et pour ce qui est de la question posée, Nathalie avec qui je vis et qui l’a lue m’a dit: j’étais contente de voir les formules mathémathiques, ça m’a éclairé (!). Et ensuite devant mes questions sur la linéarité des maths: «Une intégrale, ça n’a pas grand chose de linéaire». Et on voudrait que je ne sois pas séduit par elle? Et puis tiens, voilà Pierre Louys par Félix Valoton, parce qu’il est arrivé sur le tapis aujourd’hui, chaudement servi par Mana Depauw, mais on verra si l’idée tient…
B.


Miguel Decleire — 23:29

C’est un peu la rentrée des classes, aujourd’hui. On se demande qui seront les nouveaux copains, et quels seront les nouveaux cours. Alors on a un problème de math, et la nouvelle copine, elle a déjà envie de chahuter. Tout ça me fait penser au traité de logique de Lewis Carroll. Il y a déjà des idées qui partent dans tous les sens, elles sont très drôles et pas trop hors sujet, mais j’ai toujours un peu du mal à m’imaginer ce que peut être une phrase qui ait une forme logique non linéaire. J’imagine que ça devrait être une phrase qui n’est pas conforme à un des critères de l’ordre linéaire. Par exemple qui serait intransitive, ou partiellement transitive. Manah m’étonne, mais je n’étonne pas Stéphane, mais est-ce que ça induit que Manah n’étonne forcément pas Stéphane?
Je me demande si la logique que nous suivons quand nous faisons des spectacles est la même que celle dont parle Isabelle Berlanger. Je pense que dans la mesure où nous sommes soumis au temps, la structure de nos spectacles est forcément soumise à la linéarité. Mais d’autre part le sens qui peut s’en dégager provient de tellement de sources simultanées qu’il s’en échappe constamment. Ou alors, comme c’est finalement le spectateur qui fait sa propre linéarité dans la lecture, il n’y en a aucune qui est forcément la bonne, et la multiplication des «lignes» embrouille la linéarité, lui donne ce que nous appelons de l’épaisseur, de la complexité. Ça donne un effet de réel, c’est-à- dire que la représentation est validée (quand tout va bien) par une impression de reconnaissance qui emporte l’adhésion de quelque chose de plus que simplement l’intelligence.
Mais jusqu’où les structures qu’on pourrait dégager de cet embrouillamini sont-elles identifiables en tant que telles? Sûrement, mais de quoi rendraient-elles compte? J’ai l’impression que tout langage, quel qu’il soit, ne rend compte que dans une seule dimension de quelque chose qui en a toujours plusieurs en même temps. Un peu comme de dessiner une orange, on est forcément obligé de choisir: ou bien on rend compte de tout, y compris la face cachée, mais alors on ne tient pas compte de la rondeur. Ou alors c’est l’inverse. C’était l’ambition des cubistes. Je me posais plutôt la question en termes de rangement. J’aime ranger les casseroles avec tout ce qui leur appartient ensemble. Mais on peut tout aussi bien ranger les pots d’un côté et les couvercles de l’autre. Les deux méthodes ont leurs avantages, et leurs inconvénients. Quelle serait la méthode qui combinerait les deux méthodes opposées? J’ai l’impression que c’est peut-être une métaphore de la question.=

Stéphane Olivier — 21:53

«Comment le langage se débrouille-t-il pour encoder dans des structures linéaires des significations qui ne le sont pas?».

Et paf, d’entrée, à l’ouverture, pour commencer, dès le début ; Blind Date se débarrasse de son écorce programmatique pour devenir un projet artistique concret, tangible, qui prend au corps. Comprendre la question, délimitée au plus près la pertinence de la réflexion que nous lui apposons. D’abord la défiance, puis risqué une interprétation.

Est-ce que la logique dont nous parle Isabelle Berlanger est la même que nous évoquons/invoquons quand nous construisons un spectacle? Un spectacle est forcément linéaire comme le langage naturel; un spectacle, une performance a un début une fin, une grammaire, une syntaxe. Si c’est le cas nous somme en terrain commun, ce n’est sans doute qu’une question de définition.

Une aspérité (elle nous donne des exemples sur deux pages, des exemples qui nous aident à comprendre) ;

«Les formules logiques présentées ci-dessus sont linéairement ordonnées, mais cela ne sera plus possible avec un énoncé tel que

LA PLUPART DES LOGICIENS ET DES COMÉDIENS S’ÉTONNENT TOUS L’UN L’AUTRE

Pour lequel aucune des deux formes logiques ci-dessous ne convient:

(LA PLUPART DES LOGICIENS x) (LA PLUPART DES COMÉDIENS y) (x ÉTONNE y).

(LA PLUPART DES COMÉDIENS x) (LA PLUPART DES LOGICIENS y) (x ÉTONNE y).

Dans le premier essai, le choix des comédiens dépend du choix des logiciens, et inversement pour le deuxième essai. Pour capturer correctement le sens de cet énoncé, il faut passer à une forme logique non linéaire (dite aussi ramifiée), du style:

(LA PLUPART DES LOGICIENS x)
------------------------------> (x ÉTONNE y)
(LA PLUPART DES COMÉDIENS y)

qui assure que les «logiciens» et les «comédiens» sont bien mis sur le même pied, afin que le choix des uns ne dépende plus du choix des autres.»

Pourtant, je ne suis pas sur que l’ordre de succession des deux termes est vide de sens, donc (si je comprends bien — qu’il n’est pas linéaire). Peut-être qu’il l’est dans la proposition, mais je me demande si cet ordonnancement ne donne pas une indication même infime sur le contexte, ou sur le locuteur qui nous énonce cette proposition. Mettre comédiens avant logiciens ou logiciens avant comédiens ce n’est pas la même chose, même si la forme logique est identique. Une proposition est toujours précédée d’une autre préposition, et une autre lui succède. Il y a un contexte.

Je m’avance, si c’était comme ça que le langage se débrouille pour encoder dans des structures linéaires des significations qui ne le sont pas. En changeant d’échelle, en ordonnant des propositions qui en se succédant établissent a leur tour un ordre logique plus général englobant une suite de propositions à l’ordre logique particulier, les significations s’y empilent alors (comme des poupées russes) «autorisant» un ordre linéaire a des significations qui ne le sont pas.

Dans le contexte, la phrase «La plupart des logiciens et des comédiens s’étonnent tous l’un l’autre.» à été écrite par une logicienne.

Au cours de la journée une image s’est imposée à moi, un corps (le mien?) nu, ou fort dévêtu est enseveli sous un tas de sciure rouge. Celle que les «techniciens de surface» utilisent parfois pour nettoyer (par agglomération) des sols crasseux. Bien que je crois qu’elle soit verte maintenant.


Christine Aventin — 7/10 16:16

Bonjour les gars, ici Christine Aventin. Je trépigne de venir à votre premier rendez-vous, (fervente passionnée des Oulipiens, cette première question m'apparaît plus que jubilatoire et me rappelle leur "essai pour une définition mathématique de la poésie". Je suis, en outre, pour l'instant dans les Fictions de Borgès qui tordent et retordent tant qu'elles peuvent la question centrale de toute narration : comment rompre la linéarité imposée par la nécessaire (?) succession des mots sur la page, et par l'idée que nous avons d'un temps qui juxtaposerait l'une après l'autre ses secondes, comme une droite son ensemble infini de points.) mais je crains ne pouvoir y être : enceinte jusqu'aux paupières supérieures, il va bien falloir que je finisse par accoucher... Mais bon, j'ai lu dans le programme du Varia qu'il y avait un "service baby-sitting" et je compte approfondir cette question sitôt le petit oeuf pondu. En attendant, je vais lire vos 900 signes quotidiens avec beaucoup d'intérêt. Le rangement des casseroles de Miguel m'évoque le "Penser/classer" de Perec. Et je me dis, comme ça, sans creuser davantage, que la multiplicité des lignes embrouille la linéarité parce qu'elle crée un plan, au sens mathématique — càd permet de passer du temps à l'espace. (Du coup, je pense au titre que les Oulipiens ont donné à leur "manifeste" —qui n'en est pas un— "Atlas de l'Oulipo", ce mot, Atlas, rien de plus explicitement spacial ! Ils y risquent, entre autres, une translation des axiomes de la géométrie à la littérature; ils remplacent la droite par la phrase, et le point par le mot, ce qui donne, de mémoire : " Toute phrase comprend une infinité de mots : on n'en perçoit cependant qu'un nombre fort limité, les autres se trouvant à l'infini ou étant imaginaires") Well... Je vous embrasse, et souhaite à vos vaillants neurones d'agréables agitations ! Christine.

BLIND DATE 1

VENDREDI 10 OCTOBRE 2008

SUJET

La question brute

« Comment le langage se débrouille-t-il pour encoder dans des structures linéaires des significations qui ne le sont pas ? »


L’esquisse générale

En linguistique formelle, nous étudions les structures logiques aptes à rendre compte de la structure du langage. Le langage naturel a ses énoncés (pensez à n’importe quelle proposition en français) ; le langage logique aussi, ce sont les formules, construites à partir d’un alphabet de symboles logiques, et selon des règles bien définies.

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ISABELLE BERLANGER

Isabelle Berlanger est licenciée en mathématiques et en philosophie, une double formation qui lui permet d'explorer le lien entre ses deux domaines de prédilection : la logique et le langage.

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MANAH DEPAUW

Diplômée du Conservatoire Royal d’Art Dramatique de Liège en 2000, Manah Depauw (1979) est actrice, metteur en scène et auteur de projets théâtraux, de performances, de créations radiophoniques et de vidéos.

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