Bernard Van Breusegem — 22:06
Le huitième blind date maintenant derrière nous, il est enfin temps que leur secret de fabrication des blind date soit porté au grand jour ! Que se révèle précisément comment la chose s’est élaborée! Que vous vous retrouviez au cœur même de la création, au plus près de l’inspiration, que vous puissiez en sentir le poul, en palper la pulsation. Que les détails les plus saugrenus de l’élaboration soient enfin portés à votre connaissance ! Que vous restiez stupéfaits, ébahis, bouche bée, devant ce mélange extrêmement détonant d’ingéniosité débridée et d’audace folle ! Que vous frissonniez devant cette prise de risque insensée, ces décisions sauvages, taillées dans le vif, prises sabre au clair, que vous démontiez cette charge héroïque pièce par pièce, que vous puissiez apréhender ce déferlement imaginatif, ce délire créationnel sans retenue aucune, toutes vannes ouvertes, que vous compreniez ce maelström éblouissant et surprenant à la fois. Etes-vous prêts ? Vraiment? En êtes vous convaincus ? Absolument sûrs?
Réflexion faite, je ne pense pas que vous soyez assez mûrs pour un telle révélation. Ce serait trop violent, trop brutal et je ne suis pas sûrs de pouvoirs en assumer toutes les conséquences. Après tout, il reste deux blind date…
Comment il n’y a pas de secret?
N’en croyez rien, ignorants que vous êtes. Notre "système" a été pensé pour faire éclater les carcans habituels, pour ouvrir des petites possibilités, à l’aune de ces cinq jours de travail. Dans ce cadre, on ne peut refuser de voir l’évidence de la simplicité, on ne peut la recouvrir, jusqu’à parfois l’étouffer, de travail ou de technique. Ne pas avoir le temps permet de: choisir son idée, s’y tenir, de faire confiance, à soi et aux autres, et de ne se livrer à aucune ridicule bataille d’égo ou de stress. Ce n’est pas rien. Cela marche.
Pour le reste et pour ce qui est du secret de ce blind date avec le groupe toc, je n’en dirai rien, si ce n’est que ce fut un plaisir de travailler avec Anne, Marie, Mélanie, Hervé et Raph.
Miguel Decleire — 18:47
Plus on donne d’information, plus, curieusement, on alimente le secret. On aura beau essayer d’expliquer tout ce qu’on aura fait pendant cette semaine (bien agréable) avec le groupe Toc, plus on en parlera, plus on aura de choses à dire dessus, plus on aura l’impression de cacher des choses, évidemment essentielles. Les groupes sont propices à ce genre de dynamique fantasmatique « Qu’est-ce qu’ils font ensemble pour parvenir à faire ce qu’ils font ? Comment font-ils pour tenir si longtemps ? Ils couchent ensemble ou quoi ? Ils prennent des trucs ? Oh, j’en suis sûr(e). » Transquinquennal n’a pas échappé à la règle ; le groupe Toc non plus. Les groupes, plus ils sont publics, plus leur fonctionnement interne pose question. Plus il intrigue, plus frappe le fait qu’on n’en sait rien ; si on n’en sait rien, c’est qu’il est secret ; s’il est secret, c’est qu’il y a quelque chose à cacher ; s’il y a quelque chose à cacher, c’est que c’est vraiment pervers, et/ou sordide, et/ou crapuleux, etc. Ce qui alimente encore plus cette suspicion, c’est qu’il est bien difficile de parler d’un fonctionnement qu’on expérimente au jour le jour. On en fait toujours un peu trop, le discours a toujours l’air un petit peu trop rôdé, on se met en scène avec, le cas échéant, un peu trop ou vraiment pas assez d’aisance. Sur ce qui peut susciter à ce point ce besoin de percer le secret des groupes, je pense que c’est une espèce de jalousie qui vient d’un sentiment d’exclusion qu’on ressent comme injustifié. « Je ressens tellement bien ce qu’ils font ensemble, ça doit être génial de vivre ça, pourquoi est-ce que je n’en fais pas partie, j’ai sûrement dû avoir beaucoup de malchance pour ne pas les avoir rencontrés. »
Mais peut-être que je me monte le bourrichon à moi tout seul, et que c’est moi, de l’intérieur du groupe (les idées encore un peu encombrées par le mucus accumulé de ce gros rhume finissant), qui m’imagine que c’est comme ça qu’on voit les groupes de théâtre – un peu comme moi j’en ai regardé des mythiques – (attention, au coup de vieux) le Théâtre du Soleil, la compagnie de Peter Brook, et puis l’Ymagier Singulier – ou dans un autre genre, encore plus fantasmatique, les Beatles, les Pink Floyd, les Neil Young et Crazy Horse, les Talking Heads... Peut-être que ça ne raconte finalement que ce qui m’a poussé, moi, à vouloir faire partie de groupes de théâtre.
Enfin, à tout hasard, demandez un peu au groupe Toc ce qu’il s’est passé rue Barlaud. (Enfin je ne me souviens plus bien du nom de la rue, mais ils sauront.) Et soyez prêts à n’importe quel type de réaction.
Bernard Van Breusegem — 22:09
Le huitième blind date maintenant derrière nous, il est enfin temps que leur secret de fabrication des blind date soit porté au grand jour ! Que se révèle précisément comment la chose s’est élaborée! Que vous vous retrouviez au cœur même de la création, au plus près de l’inspiration, que vous puissiez en sentir le poul, en palper la pulsation. Que les détails les plus saugrenus de l’élaboration soient enfin portés à votre connaissance ! Que vous restiez stupéfaits, ébahis, bouche bée, devant ce mélange extrêmement détonant d’ingéniosité débridée et d’audace folle ! Que vous frissonniez devant cette prise de risque insensée, ces décisions sauvages, taillées dans le vif, prises sabre au clair, que vous démontiez cette charge héroïque pièce par pièce, que vous puissiez apréhender ce déferlement imaginatif, ce délire créationnel sans retenue aucune, toutes vannes ouvertes, que vous compreniez ce maelström éblouissant et surprenant à la fois. Etes-vous prêts ? Vraiment? En êtes vous convaincus ? Absolument sûrs?
Réflexion faite, je ne pense pas que vous soyez assez mûrs pour un telle révélation. Ce serait trop violent, trop brutal et je ne suis pas sûrs de pouvoirs en assumer toutes les conséquences. Après tout, il reste deux blind date…
Comment il n’y a pas de secret?
N’en croyez rien, ignorants que vous êtes. Notre "système" a été pensé pour faire éclater les carcans habituels, pour ouvrir des petites possibilités, à l’aune de ces cinq jours de travail. Dans ce cadre, on ne peut refuser de voir l’évidence de la simplicité, on ne peut la recouvrir, jusqu’à parfois l’étouffer, de travail ou de technique. Ne pas avoir le temps permet de: choisir son idée, s’y tenir, de faire confiance, à soi et aux autres, et de ne se livrer à aucune ridicule bataille d’égo ou de stress. Ce n’est pas rien. Cela marche.
Pour le reste et pour ce qui est du secret de ce blind date avec le groupe toc, je n’en dirai rien, si ce n’est que ce fut un plaisir de travailler avec Anne, Marie, Mélanie, Hervé et Raph.
Stéphane Olivier — 18:49
C’était le huitième. Pour la deuxième fois, après Manah Depauw (N°1), les invités étaient des praticiens du théâtre (Marie Szersnovicz aussi, mais dans les «coulisses» - N°3). Et donc hier c’était du théâtre avec de vrais morceaux de théâtre dedans comme dirait Bernard.
Et j’ai eu un petit goût de trop peu. Rien n’a voir avec nos invités, comme a chaque fois la rencontre est fructueuse, agréable, ébouriffante, désopilante, etc. (tous les superlatifs de la critique théâtrale ne sauraient la contenir). Et la commissaire n’est pas en cause (pour un sujet, c’est un sujet). Il y a d’autres épines.
D’abord la déjà évoquée impossibilité ontologique a parler du secret lui-même (ce serait le révéler et donc lui faire perdre sont statut de sujet), avec la conséquence «sémantique» qu’une radicalité littérale ne pouvait pas nous mener loin.
Ensuite d’autres plus inattendues. Les secrets individuels dévoilés anonymement au public font écho à «Iemand van ons» (sa version française en fait: «L’un d’entre nous»), ou dans la troisième partie chacun énonçait un des secrets des protagonistes, comme «L’un d’entre nous se souvient avoir planté une fléchette en plastique dans la jambe de sa mère.» ou «L’un d’entre nous aime, quand il est dans son bain, pincer son prépuce avec ses doigts et pisser pour le gonfler comme un ballon.». Et donc hier, il y avait un peu d’écho.
Et puis il s’agissait d’être assis et de faire reposé des carton sur mes cuises or j’ai des petites jambes et de grosses cuisses, et donc les cartons tombait aux répétitions et pour que ça n’arrive pas, j’ai choisi une chaises coque particulièrement inconfortable au fond de laquelle j’ai du m’enfoncé, ce n’était donc pas un plaisir complet.
Et peut être parce qu’on a répété (c’est la seule fois), ce qui vent dire qu’on a eu le temps de réfléchir, de mesurer ce qu’on était en train de faire - toutes ces idées périphériques m’ont traversé l’esprit vendredi.
Marie a amené de la mirabelle (de l’alcool de mirabelle) distillée par sa famille en Lorraine, j’aime beaucoup la mirabelle. Et ça me rappelle un matin il y a longtemps ou j’ai vu sur la place d’un village en Lorraine justement, un bouilleur de cru et son camion- alambic distillant la mirabelle au milieu d’un nuage de vapeur et de fumée.
Stéphane Olivier — 22:08
Je voudrais parler d’autre chose. Dans «Vente à la crié du lot Nº 49» de Thomas Pynchon (un livre que nous avons évoqué lundi Miguel et moi) Oedipa Maas retrouve un pan de son passé quand elle est nommée-ô surprise-exécutrice testamentaire de Pierce Inverarity, ancien amant, sacré richard de l’immobilier mobile californien. Oedipa ne se souvient même pas de Pierce, elle se balade en Californie, rencontre des philatélistes, des psychiatres désormais dérangés, d’obscurs facteurs, des critiques de théâtre jacobéen, des libraires qui s’autodafent, une ribambelle de guignols et un système postal secret, en marge du gouvernement, en marge de l’officiel. Et ce système de apparaître, symbolisé par un cor muni d’une sourdine, un peu partout pour qui sait regarder, sur le mur des chiottes d’un bar gay, au milieu du quartier chinois, gravé sur un baobab, dans les égouts ou plus simplement sur des timbres détournés. Il y a donc toute une histoire disparue, devenue alternative, de systèmes postaux (Thurn und Taxis contre Trystero) en lutte. Oedipa découvre un Nouveau Monde, fait ce qu’elle peut, appréhende, et doute: et si tout cela n’était qu’une vaste farce? un canular demandant des moyens énormes?
Lundi je pensais à «la lettre volée», aujourd’hui au «lot n°49»; le secret et le courrier sont-il liez. Nous avons un moment réfléchi à la réalisation d’un spectacle épistolaire, fait de lettres unique, chacune adressée à un seul destinataire, créant ainsi pour chaque spectateur un spectacle secret. Nous n’avons pas imaginé jouer «Oedipe Roi» de Sophocle, mais nous aurions pu. Secret et psychanalyse… alors.
L’identité de Thomas Pynchon est secrète, il est connu pour son refus de toute apparition publique: depuis les années 1950, très peu de photographies de son visage ont été publiées, ce qui a alimenté de nombreuses rumeurs, allant jusqu’à remettre en cause la réalité de son identité. En 1997, il fut traqué et filmé par CNN. Irrité par cette invasion de sa vie privée, il accepta de donner une interview en échange de la non-diffusion de ces photographies. Lorsqu’on l’interrogea sur sa nature recluse, il répondit: «Je crois que reclus est un mot de code utilisé par les journalistes et qui signifie qui n’aime pas parler aux reporters».
Reclus, il vit en secret.
En 2003 Il a préfacé une réédition du roman de George Orwell 1984 parue chez Penguin. C’est ce roman que Nicole Minazio cite à la fin de son sujet.
Miguel Decleire — 22:08
Il m’en coute un peu de le dire, mais je suis toujours dans l’entredeux du refroidissement. J’ai lu ce que mes deux éminents collègues ont écrit hier soir, et je ne peux que les rejoindre sur la thématique paradoxale de devoir parler du secret. Peut-être que le mieux à en dire est de se taire. La parole est d’argent, le silence est d’or. Je sens déjà dès à présent la tentation s’élever de conclure rapidement ce billet, et de m’accorder une autre dispense maladie pour ce soir. Je pense bien que je vais y succomber.
Bernard Van Breusegem — 23:41
Parler d’un secret sans rien en révéler, c’est comme passer sous la pluie sans être mouillé: il vaut mieux avoir prévu un bon imperméable. Expliquer l’exercice auquel nous nous livrons actuellement avec le groupe toc serait un peu du même ordre, il s’agirait d’être suffisamment évocateur pour en faire comprendre l’intérêt, mais, en même temps, de se couvrir assez pour ne pas trop en dire, afin que la représentation de vendredi conserve un peu de sa surprise et, reste fidèle au sujet qu’on nous a confié. Essayons donc de respecter ce difficile cahier des charges, et rassasier ta curiosité, avide lecteur, sans toutefois manger le morceau, comme on dit dans une certaine littérature. Là où nous situons actuellement en compagnie d’Anne, de Marie, de Mélanie, d’Hervé et de Raphael est juste à l’intersection de l’idée et de sa réalisation, et cette fois, contrairement peut-être aux autres, cette réalisation demandera une mise en œuvre différente, c’est-à-dire que la répétition sera peut-être nécessaire. La répétition –horresco referens- est une chose qui ne me semblait pas, jusqu’ici, appartenir au monde des blind date, mais se rattacher à une forme ancienne que nous avions pratiqué dans une autre vie spectaculaire. Je m’en étais presque persuadé, mais l’idée même derrière blind date vient de me revenir à la figure comme un boomerang: «comment se surprendre soi-même,» etc –enfin, vous vous rappelez- et je me suis retrouvé tout à l’heure surpris, tout bête à l’idée de refaire ce genre de sport. Mais c’est comme le stylo et le papier, ils n’ont pas été remplacés par le clavier et l’écran, et, ils sont toujours, parfois, trèèès pratiques.
La répétition, c’est du même ordre, ça ne sert pas à tout, mais dans certain cas, on n’a pas trouvé mieux pour arriver à un certain type de résultat. Quel résultat, allez-vous me demander? Disons que c’est… secret, ça vous conviendra, comme réponse?
Stéphane Olivier — 23:06
Le problème ontologique du secret, pour nous, c’est que pour en parler, il faut le dévoiler. C’est un peu court puisque Nicole Minazio a attiré notre attention sur deux choses, la mise en scène du secret est d’une grande importance, et le lien qui uni le secret, son détenteur et sa victime peu être plus important que son convenu.
Code pénal belge: «Art. 458. Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice (ou devant une commission d’enquête parlementaire) et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de cent francs à cinq cents francs.»
C’est bien sur «toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession» qui s’adresse au psychologue et au psychanalyste.
Ces histoires de secrets ça a aussi une conséquence sur l’écriture de ces billets. Il y a comme une retenue que je m’impose. Peut-être simplement parce que le mot impose le silence.
Il y a des secrets de fabrication au théâtre comme chez les primitifs flamands, ou les verriers de Murano. Aujourd’hui on a évoqué le travail de Romeo Catellucci - Societas Raffaello Sanzio (Raffaello Sanzio, plus connu sous le nom de Raphaël (Raffaello), est un peintre et architecte italien de la Renaissance), qui je pense fonctionne en partie sur des mécanismes de sidération intimement liés a l’exploitation de secrets de fabrication descendant de la tradition théâtrale. Sur nous 8, dans ce Blind Date 4 sont touché par ce travail, 4 le sont moins.
Il me semble qu’il y a un lien intime entre secret et sidération, et d’une certaine manière les spectacles de Romeo Castelucci que j’ai vus ont tous, tout le moins en partie, comme sujet «le pouvoir du secret», et lui en tout cas se présente comme un détenteur de ceux-ci.
Ni Transquinquennal, ni le groupe TOC n’ont ne s’inscrive - je crois - dans cette perspective, la question qui nous taraude est alors, quel sont nos moyens pour construire notre propos sur le secret.=
Miguel Decleire — 22:20
Bon alors là, j’ai attrapé une bonne crève des familles, un de ces secrets hivernaux qu’on nomme grippe ou rhume, enfin quelque part entre les deux. Un refroidissement carabiné. Je pense que je vais me faire une petite dispense sur les 300 mots. Il y a une ambiance de conspiration de bac à sable, dans notre collaboration avec le groupe TOC, qui fait bien plaisir. On a découvert aujourd’hui qu’ils viennent tous, ou à peu près, de la même région, la Lorraine, plus précisément la Meurthe-et-Moselle. Je ne sais pas pourquoi ça me les rend plus sympathiques. Peut-être parce qu’ils sont venus comme ça, en groupe, sans savoir qu’ils se retrouveraient ici, dans la métropole improbable de Bruxelles. Ça fait du bien aussi de se retrouver devant un groupe, plutôt qu’une ou deux personnes, en tout cas plus de gens que nous. C’est rafraichissant, ça fait grande production sans le stress. Mais c’est un groupe de théâtre, et alors on se permet aussi de prendre de grands moments de conversation de théâtre, c’est-à-dire de papotage typique. Mais on a aussi fait des essais sur le plateau. C’est dire si on avance. Enfin, j’ai constaté ça aujourd’hui, avec un peu de distance, à travers les brumes cérébrales de mon refroidissement, et mes nombreux éternuements. J’espère qu’ils seront moins nombreux demain, et que je pourrai suivre plus alertement la progression des travaux.
Stéphane Olivier — 23:32
Qu’y a-t-il au coeur du secret. Étymologiquement «secret» du Latin «secretus», de «secernere», mettre à part, de se, indiquant séparation, et «cernere», distinguer, séparer. Et donc, ce n’est pas son coeur qui définit un secret, mais le bord, la limite. Ce qui le différencie de l’accessible. Peut-être que la question du secret pourrait se réduire à une question de territoire, a une énième confusion.
Difficile de parler de ce que nous cherchons avec le groupe TOC, et sans doute difficile de parler d’un projet autour du secret. Il y a une contradiction entre spectacles et donc public et secret. Par nature ce qui est dit sur scène n’est plus secret.
Le secret au théâtre est un élément dramatique, un élément nécessaire de l’ironie dramatique, le public sait ce que certain ou tous les personnages ne savent pas («ou est guignol? Là, là, là»).
Dans «La Lettre volée», Edgar Poe imagine une intrigue où un certain « D. » vole à une dame une lettre compromettante. Pour la cacher aux policiers, qui surveillent ses allers-retours et fouillent son hôtel pendant son absence, il la met bien en évidence dans un tableau accroché au mur. Est-ce qu’un secret doit être volontairement caché, sans doute sinon il s’agit d’une omission. Il faut donc «tenir secret».
On a beaucoup discuté aujourd’hui. Un grand nombre d’interrogations ont montré leur nez dans mon carnet: Un secret peut le trésor jalousement gardé d’un personnage. Le motif dissimulé d’un tapis. Qu’est-ce qu’un secret et comment en faire le pivot d’une narration ? Comment, représenté le secret ? C’est souvent un travestissement en vue de cacher son véritable sexe ou dissimulation de sa sexualité (on a parlé de «Tom Jones» hier). Mais ça marche avec Marivaux et Shakespeare.
Le propre du secret est qu’il donne à imaginer. Il est le point de départ d’une recherche qui peut prendre la forme de la quête, ou même de l’enquête. Il déclenche surtout une rêverie. Comme nous le notions cet après-midi ; pour garder un secret secret, il ne faut pas en parler, si on dit (d’une façon ou d’une autre) «J’ai un secret», on n’aura pas de repos avant de l’avoir dévoilé.
Comme l’écrivait L.W. «Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.»
Miguel Decleire — 22:53
Trêve de paranoïa. À travailler sur le sujet, et en tentant d’être fidèle à l’orientation que Nicole Minazio nous propose, je me rends compte que le secret est quelque chose de très ambivalent. À première vue, on pourrait penser que notre commissaire trouve que le secret est une bonne chose, qu’elle est importante à préserver. Je m’étais dit qu’on pourrait alors trouver une mise en scène du secret dans laquelle il n’y ait pas de résolution du secret, en tout cas pas complète, et que le spectateur trouve ça bien. Une sorte d’éloge du secret, de préférence pour le mystère. Outre que c’est un peu contre nature (qu’est-ce qui fait qu’un secret que nous ne connaissons pas opère sur nous une telle fascination ?), je trouve que ça fait finalement la part belle à l’occultisme (en gros, la plupart des religions qui imposent le mystère en dogme et préconisent de s’en réjouir). Je ne dis pas que tout soit nécessairement connaissable, mais je trouve que baisser les bras par rapport à ce qui est connaissable, mais dont nous ne le savons pas encore, est une grosse erreur, et une soumission dont les totalitarismes sont les plus prêts à profiter. Et je pense que Nicole Minazio ne nous suivrait pas non plus sur ce terrain. Par contre, la curiosité insatiable dont nous faisons preuve peut nous emmener vers un autre écueil, qui est tout aussi périlleux – et risque de nous mener tout autant dans les bras des occultismes, c’est que devant ce que nous ne comprenons pas, la tendance est grande de lui donner un sens, envers et contre tout. L’attitude consistant à dire simplement « Je ne sais pas », tout aussi contre nature, est pourtant la seule tenable, et j’imagine que c’est finalement à ça que se résout la sagesse des vieux Chinois que j’évoquais dans un autre billet. Il y a ce qu’on sait qu’on sait, ce qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas, et entre les deux, le plus difficile à estimer peut-être, ce qu’on sait qu’on ne sait pas. Avec le sujet de cette semaine, il y a aussi une autre donnée, qui est ce qu’on ne sait pas qu’on sait – une des dimensions du secret tel que l’évoque notre commissaire. Un champ d’exploration incroyable. Mais qui a besoin de conditions, notamment le secret, ou plutôt, la confidentialité, la possibilité, la nécessité, d’une confidence, d’un secret partagé, de confiance. Comme s’il y avait des secrets que nous ne nous permettions de découvrir que pour autant que nous soyons délivrés du regard de tous les autres, sauf un, dont le secret nous garantirait un accompagnement sans conséquence sociale. C’est un des éléments de la curieuse dynamique qu’entretiennent la parole et le silence, la conscience et l’oubli. On n’en parlera finalement qu’en filigrane, je pense, dans notre proposition, qui avance bien, par ailleurs. Mais, motus, je n’en dirai pas plus.
Bernard Van Breusegem — 22:36
Et me voilà redevenu synchrone avec mes petits camarades de jeu! Enfin, je vais pouvoir de nouveau, en même temps qu’eux, vous abreuver de mes pensées du soir sur la journée de travail tout juste écoulée, et satisfaire ainsi votre curiosité (que je sais maladive) sur notre microcosme blinddatien (ou devrais-je dire blinddatique?) Quoi qu’il en soit, me voilà profondément soulagé, et j’espère que vous l’êtes aussi. Dans le cas contraire, allez donc faire un tour sur le site des vérandas Willems, par exemple www.verandaswillems.be ) et oubliez-moi.
Nous avons donc été rejoints ce lundi par 5 éléments du groupe toc pour un sujet qui suit encore une fois des voies psychanalytiques. C’est assez normal quand on songe qu’un des prénoms de Stéphane est Sigmund. Je vous ai déjà parlé de ce livre dédicacé qui orne ma bibliothèque et que j’aime exhiber fièrement devant mes connaissances: «le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient». Comme le sujet de cette semaine est, pour résumer, le secret, laissez-moi donc vous dire ceci pour amener de l’eau au moulin de ce livre: «rien ne secret, tout se transforme» On dirait que je me sens d’humeur guillerette ce soir. C’est sans doute la joie de savoir que vous êtes tous là de nouveau, tous autant que vous êtes, à guetter ma prose inimitable.
Et cette belle humeur vient aussi du fait que nous travaillons avec le désopilant Hervé Piron, membre du groupe susnommé, un boute-en-train qui fait plier de rire même la critique la plus sévère d’un journal dont le nom rime avec noir et qui a, par gratitude, accolé à son nom le qualificatif susdit. Mais le travail, me direz-vous, et ce sujet à traiter, quelle voie votre créativité débridée empruntera –t-elle ce coup-ci pour nous étonner encore une fois? Allons, du calme, jeunes excités, Rome ne s’est pas faite en un jour, on est que mardi et je vous en parlerai plus demain, si vous êtes sages.
Miguel Decleire — 23:50
Comme cette semaine, le sujet est le secret, il est peut-être temps de nous pencher sur ce qui se passe dans l’ombre de notre projet. Si nous sommes passés en une semaine de l’addiction au secret, Céline (qui en tant qu’administratrice, nous mitonne les rendez-vous de chaque semaine et gère les disponibilités de nos invités d’une part et des commissaires d’autre part) n’y est sans doute pas pour rien. On peut saluer l’à-propos qui nous a fait passer de l’un à l’autre : on vous a partagé nos addictions la semaine passée, mais cette semaine, on ne sait pas encore si on vous partagera nos secrets. Il faut qu’on voie avec nos invités, qui, pour la première fois, sont plus nombreux que nous. Le rapport est inversé, on ne sait pas très bien qui est l’invité de qui. Ils sont plus nombreux que nous, ils sont plus jeunes que nous, pour le moment on sent qu’ils nous observent, mais méfiance. On sent qu’ils mitonnent quelque chose. Ils se sont peut-être mis d’accord avec Céline derrière notre dos. Et avec Ecaterina, qui est notre assistante, et qui fait sans cesse la navette entre le studio où nous répétons et notre bureau. Je me demande si on a bien fait de se mettre en position de ne rien contrôler. Parce que nous ne contrôlons vraiment rien, il est temps d’être vraiment clair là-dessus, nous ne savons vraiment pas qui va être notre invité et ce que va être notre sujet avant le lundi. D’accord, on s’était dit, au moment de préparer ce projet, que ce serait intéressant de travailler avec le groupe Toc. Mais on ne pouvait pas savoir quand ils seraient aussi nombreux à être libres en même temps, ni si ce serait possible. Je vous le jure. On a beau être en live webcam toute la journée, les gens ne nous croient pas quand on dit qu’on ne sait pas. Eh bien oui. Nous vous disons tout, mais je pense que le fait que vous nous posiez toujours le même genre de question est le signe qu’il y a quelque chose qui se trame derrière notre dos que nous ne savons pas. Mais nous le découvrirons. Nous tirerons tout ça au clair.
Stéphane Olivier — 22:54
Dans un interview à propos de «Loin de moi», Clement Rosset raconte une anecdote que je trouve tout à fait à pertinente. «C’est l’histoire d’un imprimeur qui a repris l’affaire de son père, qui est mort. Au lendemain des funérailles, il trouve une enveloppe qui porte de la main de son père la mention " à ne pas ouvrir ". Après avoir résisté six ans, il finit par violer le secret, et dans l’enveloppe il trouve trois cents petites étiquettes destinées à la clientèle avec " à ne pas ouvrir ". Je trouve que cette histoire illustre de façon saisissante la déception qu’il y a toujours à vouloir percer ce qu’on s’imagine être la personnalité secrète d’autrui, car je crois que cette personnalité secrète n’existe pas. C’est ce que j’ai voulu dire dans mon livre. D’où le titre: Loin de moi.» En lisant cela et en relisant le sujet que nous a confié, il faut se défiez d’y voir une contradiction.
Je pense.
Je me sens toujours agresser par cette idée qui occupe presque tout le champ de la pensée, que ce qu’on ne comprend pas; on ne le comprend pas par ce qu’on n’en sait pas tout, ou pas assez. Que ce qui nous sépare du sens c’est ce qui nous est caché.
Qu’en extirpant tous les secrets, toutes les conséquences auront leurs causes. Toutes les fautes auront leurs responsables.
Garder des secrets, c’est préserver de l’insensé, du sans sens. Ne pas donner de sens à tout, je crois que c’est laisser mon de prise à la morale.
Nicole Minazio fait un parallèle entre la volonté totalitaire et cette ténacité a révéler tous les secrets. Parce que s’y ont privent
quelqu’un de ses secrets, même si la révélation n’a en fait pas de valeurs particulières pour «la société»; on l’asservit en le privant de son intimité.
Intimité (Vie intérieure profonde, nature essentielle (de quelqu’un); ce qui reste généralement caché sous les apparences, impénétrables à l’analyse - in «Le Littré»).
Je n’ai pas de secrets (je veux dire que je ne détiens aucune information qui ait une valeur pour autrui), pourtant je tiens à garder un certain nombre de choses caché, secrètes.
Le système totalitaire cherche à imposer son mode de pensée considéré comme le seul possible. On peut s’y attacher par la force, par l’exercice du pouvoir total ou par la morale.
DS de G — 26/11 22:18
Et le secret forcé, comme on dit d'un silence forcé ? Le secret comme une impossibilité à dire ou à vivre s'il est révélé.Ou le secret inconscient : cette part de nous qui "en secret" grandit et frappe de temps à autre (ou de plus en plus souvent s'il est trop refoulé, ou jamais) à notre porte du réel : un secret passé qui se révèle au détour d'une expérience nouvelle du réel. Un déclic. Et la difficulté de garder un secret (est-ce de ne pas le dire, de ne pas l'écrire, de ne pas le dire à voix haute ?). Les petits enfants ont beaucoup de mal à garder un secret. Et la rumeur d'un secret ? Je ne sais pas beaucoup de ce que vous fabriquez en secret... Ah la la, ça m'embête alors... heureusement vos mots me donnent l'impression (tronquée ? mais non, mais non) que j'écoute un peu à votre porte (euh...à la webcam -sans le son, zut alors, mais il y a vos mots justement). Je serai sage, promis Bernard, je ne dirai rien, promis, rien du tout, rien de trop...je peux en parler à quelques amis (du Blind Date) ? Juste un ou deux ? DS de G