SAMEDI 25 OCTOBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 20:08

One for the money, two for the show, three to get ready, go, go, go…

Les blind date ont donc pris leur vitesse de croisière. Le troisième opus de la série fut donc livré hier et il me conforte dans cette impression d’épouser un rythme de création assez organique. On a travaillé rapidement c’est vrai, mais sans précipitation, avec une grande envie, mais sans frénésie. Cette conjugaison du sujet, de l’invité et de nous-même démultiplie, en un sens, le processus et le résultat. En plus, nous ne sommes pas du tout atteint du syndrome de «la réplique de l’escalier», quand après la dispute, une fois dans l’escalier, vient cette la réplique imparable qu’il aurait fallu dire avant et qui eut emporté le morceau. On ne se dit donc pas: «on aurait dû faire ça» ou bien «on aurait dû faire plutôt ça», on ne se dit rien. Ce n’est pas qu’il n’y ait plus rien à dire, c’est plutôt que le poisson du sujet une fois pêché, après l’avoir sorti avec notre épuisette en forme de spectacle, après l’avoir considéré et l’avoir fait considérer, nous le remettons ensuite à l’eau pour qu’il continue à vivre sa vie propre. Et après le spectacle, il y a simplement le sentiment apaisant du travail accompli, du mieux nous pouvions. Le fait de ne pas répéter nous amène, en fait, dans ce cadre, à une grande sérénité, à un calme apaisant. Nous peignons directement sur la toile, sans dessin préparatoire, nous traçons d’un seul jet: go, go, go.

Quand au spectacle lui-même, je n’en dirai rien, sinon que ce fut un plaisir de travailler avec –directement- Marie Scersnovicz, et -indirectement - avec Miguel Benasayag.

Stéphane Olivier — 19:22

Au risque d’en décevoir certains, il y a 2 ans au palais de Tokyo Fischli & Weiss présentait dans le même espace d’une part «Der Lauf der Dinge» (le cours des choses) et d’autre part le making-off de ce film, cédant ainsi - non sans une certaine ironie - à la reconnaissance de ce petit film comme icône de l’art contemporain. Ironie, parce que ce making-off démystifiait l’implacable continuité de causes et de conséquences du «cours des choses», et montrait comment les deux artistes avaient construit séquence après séquence, par étapes ce qui finalement deviendrait une remarquable continuité (un ordre linéaire).

Sur le moment quand j’ai découvert ce qui était présenté comme un diptyque, j’ai ressenti comme un sorte de déception, mais peu à peu…

L’art, le théâtre ne devrait pas affabuler. Tant d’efforts sont-ils nécessaires? Pour finalement tendre devant le spectateur une broderie bariolée qui, pour un temps, devant lui s’interpose et voile la réalité. Tant de choses ne nous la voilent-elles pas déjà?

Hier, pendant la représentation, peu à peu les spectateurs comprenaient que contrairement aux apparences homme et machine ne collaboraient pas, ne communiquait pas, mais que parallèlement ils coexistaient. A-t-on réussi à montrer par ce dispositif que la fable qu’on nous propose, cette marche en avant de l’homme secondé par la machine, la technologie, la biotechnologie est une marche aveugle sans but, sans projet.

Une chose n’a pas marché hier, c’est le parfum de fraise tagada, ce parfum synthétique devait envahir l’atmosphère et la rendre écoeurante. Écoeurant comme - sans doute - sont les motivations qui pousse le capitalisme consumériste à investir dans la technologie. Pas de fraise tagada, mais le dialogue entre nos deux machines «Sylvie» & «Bruno» était parfaitement synchrone, les souris-bulle ont pris leur temps, mais l’aspirateur, le sèche-cheveux, les Dremels, et tous les acteurs était tip top.

«Sylvie» et «Bruno», ce sont les noms des voix ce son vu attribué nos 2 ordinateurs. «Sylvie et Bruno» est un roman écrit en 1867 par Lewis Carroll. Roman dans lequel, il explore à peu près toutes les combinaisons d’humour et de non-sens à l’anglaise, tout en traitant de ses thèmes favoris : la logique et ses paradoxes, l’écart entre signifiants et signifiés. Dans la traduction en français a paru aux Éditions du Seuil en 1972 qui est en ma possession la préface de Jean Gattégno fait référence à une étude de Gilles Deleuze (dans sa Logique du sens (1969))…

«Sylvie» n’est pas en fait la marque (la dénomination) de cette voix, elle s’appelle «Alice».

Miguel Decleire — 18:04

Je trouve que l’exercice des 300 mots du samedi un peu plus ardu que celui des autres jours. Il y a quelque chose d’un peu bateau dans le fait de tirer des conclusions sur ce qui s’est passé la veille, on est un peu en décompression, on a déjà un peu oublié, on est dans l’entre-deux blind dates. Un peu trop de recul, ou pas assez. Alors oui, on peut faire deux colonnes, les plus et les moins, en espérant que les plus soient plus nombreux que les moins, mais je veux bien être rassurant, ils le sont.

Sujet captivant, avec la sensation – peut-être trompeuse – de l’avoir traité en allant un peu plus loin que les précédentes fois. Dommage que Miguel Benasayag n’ait pas pu être là. On a pu lire sur internet qu’il pensait que l’avenir du théâtre pourrait ne plus nécessairement passer par le public. Ça ne semblait pas si éloigné de la façon dont on a voulu rendre compte de notre expérience à la fois sous forme de rendez-vous le vendredi et sur internet. Évidemment, si nous n’avions pas su au début de la semaine qu’il ne serait pas là, nous aurions pu croire qu’il prenait sa vision du théâtre sans public fort à cœur, et qu’il s’y engageait personnellement.

Belle rencontre aussi avec Marie, et je trouve que son sang-froid était impressionnant, au milieu de l’étalage de technologie qu’on a mis en place. Voilà quelqu’un qui a les idées claires et avec qui les discussions avancent. En plus elle soude à l’arc.

Et je dois dire aussi que les machines et les souris se sont très bien comportées, et je voudrais les en féliciter. J’avais tout de même des craintes quand à nos ordinateurs parlants, mais ça s’est remarquablement passé, les programmes ont mérité nos remerciements. La seule chose qui n’a pas marché, c’est la diffusion de parfum de fraise sous le gradin. Une surprise finale qui aurait un peu tempéré notre manque de préparation de sortie de scène. On n’a pas encore compris ce qui s’est passé, et comme tout le reste à si bien marché, c’est un peu frustrant. À ce stade-ci, c’est à peu près le seul moins de la colonne, et c’est un peu inquiétant (un moins supplémentaire, oufl), mais après tout c’est samedi, et on n’est pas obligé d’être aussi pertinent le samedi que les autres jours. Pour le blind date, je veux dire.


F. und W. Zurich — 26/10 13:14

aah aaah ! nous y penserons pour la prochaine fois. Auf wiedersehen

JEUDI 23 OCTOBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 23:59

Cher journal,

Aujourd’hui, pas de notes. Rien dans mon cahier. Ce n’est plus le temps d’écrire, semble-t-il. Des choses se réalisent. Nous procédons, pour une part à de l’agencement textuel et pour une part à de l’agencement spatial. Quelle capsule va donc être lancée demain? Chaque lundi matin, loin de Houston, nous avons un problème. Un problème que nous avons nous-même contribué à créer. Et demain, nous sortons dans l’espace, ce problème sous le bras, comme un parapluie. Que pleut-il dans l’espace?

En plus de l’espace, il y a le temps. Ce facteur qui nous enveloppe. Il ne déroule pas du tout comme un tapis: pour les blind date il passe subrepticement, sans en avoir l’air, et tout d’un coup, deux heures se sont enfuies, malgré la porte du studio fermée. Et les choses avancent. Mais on les bouscule, on les rudoie un peu, on leur intime l’ordre de. Parfois ça marche, les choses avancent, ensuite elles se bousculent, et tout d’un coup elles vous plantent là, elle vont boire un café, comme l’installation lumineuse tout à l’heure, qui est partie sans crier gare. David, qui vient nous aider demain, affecté qu’il est au Blind Date du vendredi, et il se fera un plaisir, j’en suis sûr, de remédier au problème que certainement mes limites posent à l’installation électrique. C’est nécessaire mais secondaire comparé au problème principal: qu’allons nous DIRE? Et bien c’est trop tôt pour le.

Allez, des choses seront articulées, c’est sûr, mais de là à être dites…par nous? Ce serait un grand pas que je n’oserais pas franchir.. Nous, nous sommes pour la politique des petits pas («un petit pas pour l’homme un grand pas pour la gratuité des places de théâtre»). Pour le premier blind date, nous avions donc terminé de tout mettre en place à 18H52. Pour le deuxième à 18h49, et demain? Comme c’est excitant!

Miguel Decleire — 23:07

Cher DL de G, peut-être devrais-je aller faire soigner mes polyptotes à l’Orgone du bon docteur Reich... (http://fr.wikipedia.org/wiki/Orgone) Pour rester dans le registre du bulletin de santé, ce matin j’allais mieux, au niveau de l’organisation linéaire de mes organes (aah, les voilà enfin), mais je dois dire que ce soir, je me retrouve un peu dans l’état d’hier matin. On parle de robots, d’hybridation, eh bien on peut dire que les premiers pas sont toujours laborieux, et que ça demande une sérieuse dose de foi en la technologie, au progrès, et au sens profond du temps présent perdu en vue du temps futur gagné. Peut-être qu’un jour, nous parviendrons à faire faire aux machines des choses qu’elles feront alors bien plus facilement que nous, et, je l’espère, pour notre plus grand plaisir. Peut-être même que nous pourrons converser avec elles, et pas seulement pour leur faire passer le test de Turing. Peut-être même que nous voudrons leur garder quelque chose de synthétique dans la voix, qui nous rassurera, nous les rendra plus attachantes, fragiles. Peut-être que nous leur confierons notre solitude, comme nous les confions à des serveurs, magiques d’être si distants, par l’intermédiaire des blogs – comme nous le faisions jadis à des cahiers munis de serrures pour être sûrs qu’un jour quelqu’un aurait envie de les ouvrir. Objets transitionnels, quand vous nous tenez. Ces robots nous écouterons, et nous pourrons sélectionner le type de réponse qui nous conviendra : conseil maternant, analyse thérapeutique professionnelle, séance freudienne classique, conférence lacanienne, babil plein de blondeur, boutades de meilleur pote un peu beauf...
Mais pour le moment ce n’est pas le cas. Ça me rappelle les premiers temps où je m’essayais à automatiser certaines tâches sur WordPerfect. La ferveur des nuits où je m’échinais pour gagner du temps pour toutes les prochaines fois, les retards que je prenais, que j’investissais dans tout le temps que j’allais gagner plus tard. Bien sûr, j’en ai gagné plus tard, mais avec ce temps gagné, j’avais tant d’autres choses à essayer d’automatiser. Aujourd’hui nous avons essayé de donner la parole aux machines, et peut-être qu’un jour elles parleront mieux que nous, qu’elles n’auront même pas à apprendre leur texte ; mais aujourd’hui, on peut dire qu’elles sont certainement plus difficiles à diriger que les plus empotés élèves d’académie. On les applaudira peut-être. En tout cas elles n’auront pas d’états d’âme si on se moque d’elles. Pas pour le moment en tout cas.


Stéphane Olivier — 21:25

Jeudi. Le prochain billet de ce BD sera postérieur à la représentation.
En 1950, Alan Turing a proposé un test qui consiste à mettre en confrontation verbale un humain avec un ordinateur et un autre humain, le tout en aveugle. Si l’homme qui engage les conversations n’est pas capable de dire qui est l’ordinateur et qui est l’autre homme, on peut considérer que le logiciel de l’ordinateur a passé avec succès le test. cela sous-entend que l’ordinateur acquis certaine des capacités de l’homme.
AT a imaginé ce test pour répondre à sa question existentielle: «une machine peut-elle penser?», en essayant de sortir cette question du cadre rhétorique. Hier nous avons pris un verre avec Oriza Hirata et les membres de la compagnie Seinendan, qui joue Tokyo Notes au Tanneur; il nous a expliqué qu’il prépare à l’université où il travaille sur la modélisation du langage japonais parlé une pièce de théâtre mettant en scène deux acteurs et deux robots. La pièce ne dure que 20 minutes, parce qu’après le robot déclare d’une voix de stentor «Excusez-moi, mais je dois recharger mes batteries». Evidement, il s’agit de robot et pas d’automate. Ces curieux comme les préoccupations se recoupent.
Mais nos robots a nous sont branchés sur secteur.
A 17h on était pas encore près, ce n’est pas cette semaine qu’on pourra répéter le vendredi. Non demain, il y aura encore beaucoup à inventer, même si on a placé les jalons du spectacle. On s’est divisé la tache aujourd’hui, Miguel et moi aux ordis, Marie et Bernard a la scène. Evidement c’est frustrant, on voudrait pouvoir tout faire.
Le processus mental et physique qu’exige nos rendez-vous aveugle, attaque peu à peu nos habitudes et de vielles résistances, notre position dans le processus créatif change de tropisme. Mais pour l’instant les résistances ont encore le dessus. On pourrai imaginer une variante au test de Turing. À un moment donné «A», a lieu une confrontation verbale entre un humain «x» et un autre humain «y», plus tard l’humain «y» est de nouveau confronté a l’humain «x», mais x est toujours au moment «A», seul «y» est au moment «B», ce test - impossible a mené pourrait mesurer en quoi «y» a changé entre «A» et «B». Ça pourrait nous être utile.=

DL de G — 23/10 22:14

Stéphane, une question et une remarque. La question : je ne sais pas si aucune machine a passé avec succès le test de Turing, mais si c'était le cas, j'aimerais savoir si on a demandé à une telle machine ce qu'elle pensait de son interlocuteur. A supposer qu'elle réponde que celui-ci n'est pas humain, quel serait donc le statut de ce dernier ? Et la remarque : je ne suis pas sûr que l'autre test que tu imagines en fin de chronique soit absolument impossible à mettre au point. Pour que ton humain "x" soit toujours au moment "A", il suffirait peut-être qu'il souffre d'une amnésie antérograde contrôlable expérimentalement. Quelqu'un, par exemple, qui oublierait tous les jours ce qu'il a vécu le jour précédent (il y a un film dont l'héroïne souffre d'un tel trouble, ce qui pose un énorme problème à l'homme qui tombe amoureux d'elle - ce n'est pas un très bon film, bien moins bon dans le genre qu' Un Jour Sans Fin (Groundhog Day), mais intéressant quand même. Oublié son titre... Je vais me coucher...)

MERCREDI 22 OCTOBRE 2008

Bernard Van Breusegem — 23:28

Stéphane Olivier — 20:06

J’aime bien le mercredi. Le mercredi ça avance… Miguel Benasayag évoque une nécessaire évolution vers la «nouvelle» alliance qui sera nécessaire entre les technologies et nous. Mais dans nos discussions autour de ce projet je me rends compte que le rapport de chacun avec le «la technologie» est partie prenante de cette évolution. Comme dyslexique, et spécifiquement comme dysorthographique ; la langue française a pour moi des raisons que ma raison ignore. Mais langage informatique, technologique, ou mécanique apaise mon âme et me repose avec sa logique sa cohérence, ces règles ontologiques.

Je peux donc - je crois - me représenter cette difficulté d’appréhender la technologie. Mais dans une perspective darwinienne, quelles conséquences auront cette différence de capacité. Ma mère reste interdite devant un magnétoscope, mais mon fils savait utiliser le lecteur de DVD à 2 ans et demi.

Est-ce seulement un question générationnelle, géographique culturelle, ou économique? Toujours est-il qu’aujourd’hui «le petit jour qui s’appelle mercredi» comme dit mon plus jeune fils, nous avons abordé la communication entre la technologie et l’humain, et même le vivant en essayant d’en faire une proposition spectaculaire.

En fait ce qu’imagine M. B., c’est une forme d’hybridation (HYBRIDATION, subst. fém. A. 1. BIOL. [Correspond à hybride A 1] «Croisement naturel ou artificiel de deux individus (plantes ou animaux) d’espèces, de races ou de variétés différentes» (Méd. Biol. t. 2 1971). Expériences d’hybridation. «Après avoir longtemps douté que l’hybridation puisse former des espèces nouvelles et fixes, on sait aujourd’hui que la chose est parfaitement possible, du moins dans le règne végétal» (Cuénot, J. Rostand, Introd. génét., 1936, p. 54), entre nous, notre espèce et les technologies que nous produisons.

Marie a disposé quelques petites choses dans l’espace du studio, et c’est drôle comme son approche est proche de la nôtre quand nous imaginons un décor, et en même temps comme elle est différente. Une des choses qui m’a frappé, c’est qu’elle gère en même temps, les détails et l’ensemble, ce que nous avons toujours été incapables de faire. Un autre c’est que j’ai tout de suite vu à quel point ces trois jours passés ensemble nous avaient permis d’accorder nos violons. Ne pas crée chacun de son côté, mais ensemble, j’imagine que ça recoupe certaines idées de M. B.

Miguel Decleire — 19:08

C’est étrange comme parfois les choses se mettent en place. Le mercredi est décidément le jour où les choses se concrétisent. Alors que hier était pour moi le jour où on tâtonnait, on essayait une piste, puis une autre, on doutait de ce que l’idée venue des lectures et gambergeages rende vraiment compte de ce qu’on avait compris (beaucoup plus que les mardis passés), aujourd’hui par contre, une idée est venue donner le point de vue, et avec lui l’humour, et d’un seul coup tout prend forme. Heureusement, parce que ce matin, je dois bien l’avouer, j’avais sérieusement la tête dans le cul – ça arrive. Bien sûr, ce n’est pas encore certain que ce qu’on envisage fonctionne vraiment, ni que ça aura la portée qu’on imagine. Peut-être que la distance ne se mettra pas du tout au même endroit, mais si je me souviens bien, j’avais déjà énoncé des doutes semblables mercredi passé. Alors je ne vais pas remettre ça, ça fait partie du processus. C’est sans doute qu’une espèce de fonctionnement organique est en train de s’organiser, que le super-organisme « blind date », pour parler comme Miguel Benasayag, est en train de trouver son fonctionnement propre, en intégrant les nôtres. Je me rends compte que j’ai utilisé organique et ses dérivés trois fois de suite dans la même phrase. La répétition est-elle machinale, mécanique, est-ce une régression vers l’animal ou vers la machine ? Ou trahit-elle plutôt un engorgement cérébral et conceptuel ? Sans doute que ce sont simplement les résidus de ma tête dans le cul de ce matin. J’ai beaucoup travaillé la tête dans l’ordinateur aujourd’hui, j’avais besoin de toute ma concentration, et je n’ai pas beaucoup remarqué ce qui se passait autour de moi. Or pendant ce temps, Bernard et Marie, accompagnés de Mohamadou et Amaury avaient complètement changé l’aspect de la salle. Fantastique. Quelle surprise. Ecaterina est arrivée avec des surprises blanches, qui allaient très bien dans l’espace, où il y a aussi du blanc. Ah, je n’en dirai pas plus, non, non, c’est une surprise. Et ce soir, on retrouve des amis du Japon, qui viennent prendre un verre au bar du Varia, je m’en réjouis déjà.



DL de G — 22/10 22:43

Miguel, je ne sais pas où tu as la tête à l'heure qu'il est, dans ton ordinateur ou un autre de tes systèmes périphériques proches, mais tu ne peux quand même pas imputer le retour (ou la rémanence) d'un même radical - "organisme, organiser, organique" (ce qu'entre parenthèses la rhétorique classique appelait un polyptote) - à une situation telle que celle que tu décris : ce n'est certainement pas parce que tu as le crâne coincé dans un orifice quelconque que ta chaîne signifiante se met à clignoter de façon aussi intéressante (car c'est l'organe, le grand absent de ta petite série)... Enfin bref, si tu persistes à te croire la tête au fond d'un tel trou, ne t'inquiète pas trop quand même : pour peu qu'on les prenne assez tôt, les polyptotes s'opèrent très bien... Bon travail en profondeur avec votre amie océanographe, et bon petit organon pour le théâtre...

MARDI 21 OCTOBRE 2008

Stéphane Olivier — 23:13

Jusqu’ici, le deuxième jour est toujours le plus difficile, et ça continue. Aujourd’hui, j’ai commencé à sentir la fatigue. Pas la fatigue physique. Non c’est comme si un muscle de mon système créatif faisait un peu mal. C’est normal, on commence à sentir la distance. J’attends la décharge d’endorphine, le deuxième souffle.

Pour autant qu’on l’ai compris Miguel Benasayag, quand il parle "la fin de l’époque de l’homme" ne parle pas de l’extinction de notre espèce, mais bien plutôt de sont inéluctable transformation (inéluctable parce que déjà en cours). L’humain se changeant en posthumain, parce que les technologies le permettent (biotechnologie, cybernétique, etc.), mais - et c’est là que se place sa pensée critique - sans la conscience des termes réels de ce changement.

Ces changements sont vendus aujourd’hui pour leurs bénéfices à court terme, ils sont vendus d’abord aux individus.

Ce qu’a quoi Miguel Benasayag appel c’est à une concertation, parce que ce changement n’engage pas que les individus, mais l’espèce.

Là où j’ai l’impression de reconnaître le psychanalyste dans son discours, c’est quand il évoque l’individu comme une chimère ; qu’il dénonce notre prétendue omnipotence (le libre arbitre?) comme une illusion. Il aurait pu dire que l’encouragement de la persistance de sentiments d’omnipotence que la plupart d’entre nous ont éprouvée comme nourrisson (ses cris (déclenchés par exemple par la faim) entraînent une réponse à ses besoins, sous la forme d’un sein [accessoirement un biberon] qu’il fantasme comme étant une partie de lui et qui semble apparaître magiquement - il est omnipotent, ou en a l’illusion [Winnicott]); est un vecteur necessaire a notre société capitaliste. Le consumérisme impose une volonté de satisfaction a court terme, donc une satisfaction individuelle - entre autre nécéssité capitaliste.

Quand il décrit sont travail d’analyste - et il n’est pas le seul à le décrire de cette façon - il indique que le travail de l’analyse passe par la prisse de conscience de ces limites, et inversement a ce que craignait le patient c’est une forme de libération. Une part de l’individu qu’on croyait être disparaît, un partit du libre arbitre et toute trace d’omnipotence avec lui, mais la réalité devient plus matérialiste.

Je soupçonne Miguel Benasayag de faire l’hypothèse que cette émancipation, cette capacité d’autonomie, ce mécanisme doit, ou devrait avoir une autre réalité.

Bernard Van Breusegem — 22:56

Tout à l’heure dans le bus 59, qui devrait arriver à 41, mais qui est passé aujourd’hui à 56, je me disais: «on dirait bien qu’un certain rythme s’installe au fil des blind date, et, peut-être, une manière de faire, irais-je jusqu’à dire une méthode?» C’est un grand mot, mais il semblerait qu’en tout cas, depuis le début, nous évoluerions selon un schéma qui se répète ainsi: après avoir reçu la question, 2 jours sont consacrés à la réflexion, 1 jour à la finalisation de cette réflexion et à la prise de décision et enfin, 2 jours à la réalisation très pratique de cette idée. Ce qui est ma foi, un rythme assez naturel, compte tenu du temps qui nous est donné, ou que nous nous sommes donnés. Bon, c’est notre rythme…Qu’est-ce qu’on peut en déduire? Rien. Rien du tout. Ou tout ce qu’on veut. Et puis, chaque invité apporte sa sensibilité particulière, sa technique et sa personnalité, et ceci dans l’ordre qu’on voudra. On parle, et puis on lit, et puis on lit, et puis on parle. Et puis on fabrique… Mais on parle plus qu’on ne lit. Pour ce Blind date, je dois avouer qu’en plus de la question, nous avons reçu les 4 derniers livres – écrits en collaboration ou non - de M. Benasayag, ce qui nous a fait gagner un peu de temps sur la partie documentation. La belle affaire! Comme si on pouvait lire tout ça! J’ai évidemment ressorti ma méthode de lecture rapide, mais je dois d’abord la relire avant de pouvoir appliquer ses préceptes et ça risque de me prendre un certain temps, et comme le soir, on écrit, j’ai bien peur de ne pas avoir terminé avant le dernier blind date, en décembre. Pour revenir à M. Benasayag, et à Marie, l’océanographe (c’est elle qui nous a livré cette fine plaisanterie, comme si j’avais besoin de ça) qui travaille avec nous cette semaine, les choses se rejoignent ici: nous avons trouvé sur le net des «chroniques du post-humain» qui sont les comptes-rendu d’entretiens que le neuro-psychiatre/philosophe a eus avec Jean-Paul Baquiast sur le concept, justement, du post-humain, et les endroits où il se développe, et ça nous a aidé, avec Marie, à tomber aujourd’hui d’accord sur ceci: ça devrait sentir la fraise. Voilà, nous avons décidé quelque chose avant le mercredi, ce qui infirme ce à quoi je pensais ce matin dans le bus. Qui demain, sera –évidemment- à l’heure.

Miguel Decleire — 19:22

Amis solitaires qui errez sur le web, si vous voulez rompre votre solitude et attirez l’attention, voici un sujet qui vous attirera à coup sûr une reconnaissance : le libre-arbitre. Non pas que je me sentais solitaire, hier soir, un peu désemparé peut-être ; mais à évoquer le libre-arbitre et ses conditions de possibilité, sujet brûlant de notre époque s’il en est, on est sûr de recevoir un réponse... Cher DL de G, je te remercie de m’avoir ainsi fourni une nouvelle fois l’occasion de rebondir. Je trouve ta démonstration très fine, et assez proche par certains côtés de ce que Benasayag évoque quand il parle de la possibilité pour l’homme (et le vivant en général) de faire ce qu’il appelle des « bêtises », des dérogations à la règle et au bon sens, et même à l’instinct de survie. Il évoque le slogan pour inciter les gens à se protéger du sida « si tu fais l’amour, tu meurs », qui s’adresse à l’homme qui ne veut pas mourir, mais qui incitera peut-être un autre à courir ce risque. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes peut-être pas, comme il dit, qu’une « accumulation de divers mécanismes de survie bien huilés. [Un organisme] rassemble bien d’autres processus répondant à des fonction intermédiaires tout aussi vitales pour sa survie mais qui peuvent mettre celle-ci en danger », comme la volonté de résister aux injonctions extérieures, la prise de risque, ou tout simplement de faire autre chose que ce qui est « prévu », aussi bien par la société que par la « nature ». Par ailleurs, sur la question du libre-arbitre, voici ce que dit encore Miguel Benasayag, en réponse à l’effroi que suscite sa mise en cause : « [...] on croit que ce qui s’oppose à l’individu, c’est la masse. Or ce n’est pas vrai: on devrait même parler d’«individu-masse». Les phénomènes de masse fascistes ou staliniens n’ont été possibles que par la sérialisation préalable de l’humanité en individus. Il faut d’abord convaincre les êtres humains qu’ils sont des individus isolés, pour ensuite pouvoir les aliéner à un leader. Les phénomènes collectifs de transe, de multitude, existent partout ; mais les phénomènes de masse n’existent que dans les lieux où le capitalisme occidental s’est installé avec son idée de l’individu. Là où il y a l’individu, il y a la masse, et là où il y a la masse, il y a les individus. Ce que j’oppose à l’individu, c’est la personne, au sens où chacun de nous est intimement lié au destin des autres: ma liberté ne finit pas où commence la vôtre, mais existe sous condition de la vôtre. Je sais bien qu’on ne peut pas dépasser la notion d’individu avec des bouquins ou un parti, mais je constate qu’il existe certaines réalités émergentes qui, ici et là, dépassent les envies de l’individu, et reviennent à cette notion selon laquelle nous ne sommes que les formes d’un désir de vie ; selon laquelle il y a «quelque chose dans lequel nous sommes embarqués profondément», comme disait Pascal... On ne peut pas convaincre les individus de se dépasser eux-mêmes, mais on peut constater et renforcer les tendances qui les dépassent effectivement. »
C’est là que je sens peut-être quelque chose où le « post-humain » peut potentiellement apporter plus de liberté...



Pierre Huyghebaert — 22/10 15:13

Miguel B, avec son “Je crois, pour revenir à ta question sur l'avenir du théâtre, que celui-ci ne sera plus principalement destiné au public. Je peux imaginer que dans une société posthumaniste le travail théâtral ou chorégraphique ne soit pas destiné à un public indifférencié. Il visera à développer les nouveaux comportements devenus nécessaires dans une société qui connaîtra de profonds changements. Il le fera dans des lieux destinés à l'expérimentation, reposant donc en priorité sur des personnes acceptant de participer à de véritables recherches. Il ne faut pas croire que le théâtre ne survivrait pas s'il n'avait plus de spectateurs. Le sens profond du théâtre, comme nous l'avons dit, consiste à inventer de nouvelles formes impliquant des corps vivants.” me fait repenser un peu à nos OSP printparties (voir http://ospublish.constantvzw.org/image/?level=album&id=22 et http://ospublish.constantvzw.org/?tag=print-party) Courage avec nos posthumains, ils ont besoin de tendresse. J'imagine que vous fourragez aussi un peu du côté de la possibilité d'une île du Michel H. et surtout de Dantec (lui aussi a besoin de tendresse, peut-être qu'il ne le sait pas)...

LUNDI 20 OCTOBRE 2008

Miguel Decleire — 23:00

Après la logique formelle, qui pouvait s’appliquer (pour autant qu’on pouvait la comprendre) à notre façon d’interroger le théâtre, après l’architecture, (prise il est vrai sous un angle qui pouvait nous la rendre plus accessible), nous voici maintenant confrontés à la philosophie, mais en disant cela je me demande si ce terme convient réellement, est-ce que le sujet ne va pas bien au-delà de ce qu’on considère habituellement comme philosophie ? Et après tout, est-ce que la question n’est pas oiseuse ? Un peu comme se demander si ce que nous faisons est vraiment du théâtre. Parce que nous employons tels moyens, cela nous contraint-il à un certain type de résultat ? Et si oui, au nom de quoi ? Pour le peu que j’aie reniflé de la pensée de Miguel Benasayag, il semble que les anciennes catégories de pensée doivent subir un sensible repositionnement et cesser de se donner à penser en tant que telles, mais soient amenés à déborder, à empiéter sur d’autres catégories, à en former de nouvelles, encore inconnues. C’est un peu la perplexité dans laquelle je me trouve pour le moment. Mais ce qui me touche pour le moment, c’est sa vision de la circulation des idées, décloisonnée de l’individu. Nous sommes souvent confrontés au fait qu’une idée que nous avons se retrouve chez une autre compagnie, à un autre coin d’Europe, sensiblement en même temps. Nous nous expliquons ça en nous disant que certaines idées sont « dans l’air du temps », et nous en restons là, mais la dimension qu’en donne Miguel Benasayag est beaucoup plus riche. Quel soulagement de pouvoir se penser comme faisant partie d’un flux et non comme une entité séparée et responsable de tout ce qui la concerne. Je n’avais déjà pas beaucoup de foi dans le libre-arbitre dont l’humanisme droit-de-l’hommiste nous accable, (après tout, sommes-nous vraiment libres de vouloir ou de ne pas vouloir ce que nous voulons ?), mais je trouve qu’il y a une possibilité avec cette pensée de se voir comme un être créatif et en mouvement, et dont les possibilités de liberté et d’imagination, d’innovation se trouvent précisément dans le fait qu’il appartienne à tel groupe humain à un moment donné à un endroit donné, et qu’il en soit hyper-déterminé. Je trouve ça particulièrement stimulant. Même si pour le moment je ne vois pas du tout comment concrètement nous allons traiter le sujet qu’il nous propose, que nous partageons avec Marie Szersnovicz, dont l’esprit fin et pénétrant nous amènera, je n’en doute pas, des découvertes surprenantes.


Stéphane Olivier — 21:50

Loin de moi l’idée de faire des reproches à monsieur Miguel Benasayag, cependant ça ne va pas être facile. On ne pourra pas lire ses livres auxquels il fait référence ; on a pas le temps. Enfin, on pourrait les lire, mais les comprendre… Je vais juste essayer de comprendre ce dont il parle. «La fin de l’époque de l’homme» pas de majuscule, donc ce n’est pas l’Homme dont il parle, mais pas non plus le mâle puisqu’il précise «le post-humain». Il doit donc bien s’agir de la fin de l’époque de «Homo sapiens (signifiant Homme pensant en latin) est le nom binomial désignant l’espèce humaine (il est l’appellation scientifique de ce qu’on nomme communément l’Homme, l’humain ou encore l’être humain)», c’est ce que j’ai trouvé dans wikipedia en cherchant «être humain» («homme» ne revoyait qu’au mâle de notre espèce). «La fin de l’époque», pas l’extinction. Époque: «Instant déterminé, point fixe dans le temps et servant de point de repère ou de départ». Ce serai donc la fin du moment de l’Homo sapiens; sans pour autant que ce soit le début de son extinction.

On en a discuté tout l’après-midi, et ce qu’on en a compris c’est que Miguel Benasayag se démarque d’une vision pessimiste de l’avenir de l’homme. Elle n’est pas pour autant optimiste. Elle n’est pas morale. Ce qui est sur c’est qu’on ne sait pas ce qu’on va faire. Et encore un fois, je trouve ça très intéressant. En étant volontairement soumis au sujet et au point de vue du commissaire, nous ne pouvons pas le rendre malléable, le modeler a notre main.

C’est évidemment là, dans ce conflit que je cherche quelque chose.

Dans un chronique de Miguel Benasayag, j’ai lu tout à l’heure ce passage sur le théâtre (il répond à Jean-Paul Baquiast); «Je crois, pour revenir à ta question sur l’avenir du théâtre, que celui-ci ne sera plus principalement destiné au public. Je peux imaginer que dans une société posthumaniste le travail théâtral ou chorégraphique ne soit pas destiné à un public indifférencié. Il visera à développer les nouveaux comportements devenus nécessaires dans une société qui connaîtra de profonds changements. Il le fera dans des lieux destinés à l’expérimentation, reposant donc en priorité sur des personnes acceptant de participer à de véritables recherches. Il ne faut pas croire que le théâtre ne survivrait pas s’il n’avait plus de spectateurs. Le sens profond du théâtre, comme nous l’avons dit, consiste à inventer de nouvelles formes impliquant des corps vivants.» et un peu avant en parlant du théâtre de Sophocle et du théâtre en généra ; «Au centre de ces cercles concentriques, le théâtre explorait l’époque et cherchait à comprendre comment les hommes, les animaux et l’environnement pouvaient cohabiter. La société générait des interdits multiples, d’inspiration généralement religieuse. Le théâtre demandait: «pourquoi ces interdits, et que se passerait-il si on les transgressait?»»

Je souscris, évidemment.

Bernard Van Breusegem — 21:50

Blind date n°3! Comme disait un de mes anciens prof de solfège: on recommence et on continue. Dans mon métro du matin (j’ai remisé pour le moment le vélo à la cave), je lisais le petit livre «le goût de Tokyo» et dans l’introduction de Michaël Ferrier: «Tokyo impressionne moins par son gigantisme que par la nature même des processus qui y sont en jeu, et les nouvelles catégories d’action mentale qu’elle permet de susciter» et, inévitablement, ça me renvoyait à la question de la semaine dernière sur le caractère sexuel des villes, antiques ou non, et je me disais trois choses: «en un sens, on n’a fait que survoler, mais survoler, c’est voler quand même, et pour voler, il faut décoller un minimum» et puis «à quel point la réponse que l’on donne est-elle une réponse à cette question-là, plutôt qu’à une autre, peut-être à la précédente, mais peut-être aussi à la suivante» et enfin, cette expression toute faite: «poser la question, c’est déjà y répondre». C’est à ce moment-là que j’ai dû descendre du métro pour aller attendre le bus. En attendant le bus, je ne pensais à rien, sinon au fait qu’à Tokyo, pour ce que j’ai pu m’en apercevoir, les bus ne sont pas en retard, et puis en prenant ce bus en retard, j’ai pensé au fait que chaque blind date était peut-être une suite ininterrompue et constante de frustrations, mais surtout une mine inépuisable de nouvelles références, comme si nous nous baladions à chaque fois dans un champ entier de connaissances et qu’on avait l’opportunité, la chance, d’en cueillir quelques fleurs. Cette promenade est une promenade accompagnée, et elle prend, du fait de cet accompagnement, un tour qu’elle n’aurait pas si nous avions été seuls, entre nous. Aujourd’hui, Marie nous a rejoint pour faire un petit bout de chemin ensemble, et sa présence nous emmène, avec le sujet et Miguel Benassayag comme mentor, sur les chemins du post humain. Trop tôt pour en dire quelque chose, sinon ceci que j’ai noté ceci presque au hasard dans un des livres de M. Benassayag et que je viens de relire: «Nous sommes, dit-il, des automates spirituels, c’est-à-dire, que c’est moins nous qui avons des idées, que les idées qui s’affirment en nous.» Baruch Spinosa, Ethique, p1965.


DL de G — 20/10 23:01

Stéphane : à propos de fin de l’homme, jette un coup d’œil sur les trois ou quatre dernières pages de Tristes Tropiques (Lévi-Strauss) et de Les Mots et les choses (Foucault). Et à propos de posthumanisme – je traduisais à l’instant un article d’Avital Ronell qui parlait, à propos de Nietzsche et de Derrida, de « posthumain trop posthumain »... Bon travail !

DL de G — 20/10 23:13

Cher Miguel, sur le rapport entre "libre-arbitre", déterminations socio-historiques et liberté, je ne vais pas te renvoyer à Etre et Temps (au Dasein comme l'étant en l'être en qui il en va toujours déjà de son être, à l'être-jeté du Dasein, ni à l'appel du souci au Dasein comme à son être-possible-le-plus-propre). Non, non... Je vais plutôt te citer, à propos d'Othello et du meurtre qu'il commet, une question que je posais il y a un mois à Eric Vigner : "est-ce qu’Othello a vraiment le choix de ne pas aller plus loin ?" La réponse a été à peu près la suivante : "Est-ce qu’il est libre de ne pas s’engager là-dedans ? Peut-être… En fait, c’est un peu comme la scène entre Iago et Cassio. Iago tend un piège à Cassio : il lui propose de boire. Cassio sait qu’il ferait mieux de s’abstenir, mais il se laisse tenter. Et une fois le poison absorbé, Iago et le spectateur savent que ce n’est plus qu’une question de temps… Alors, est-ce que Cassio était libre de refuser ? Quand il entre en scène, Shakespeare, qui laisse très peu de choses au hasard dans ce genre de pièces, lui fait dire qu’il a déjà bu un verre. Donc, il est déjà sous l’emprise quand Iago entreprend de l’enivrer… Comme si tout avait déjà commencé, ou comme si tout commencement visible devait être précédé d’un autre commencement invisible… Alors, est-ce que Cassio est libre, est-ce qu’il est aliéné ? Comment passe-t-on du pôle de la vertu à ses antipodes, le pôle du vice ? Ou encore, comme se le demande Cassio après coup, quel plaisir obscur peut-on prendre à devenir une bête ? L’alcool est sa “faiblesse”, comme Shakespeare le lui fait dire ; celle d’Othello est certainement plus difficile à nommer, mais elle est bien là. Simplement, cette “faiblesse” n’est pas à elle toute seule une contrainte suffisante, qui aurait pour effet de nous jeter hors de nous-mêmes, dans l’aliénation. Elle est plutôt, cette faiblesse, ce par quoi l’aliénation s’ouvre un chemin. Cela commence comme une petite fêlure, juste un petit verre ou un petit soupçon, trois fois rien, trois mots jetés au passage, et chemin faisant, le long de cette pente, on va jusqu’à l’ivresse ou jusqu’à l’obsession, puis jusqu’au meurtre. Personne ne peut prédire que ça ira toujours jusque-là. Mais une fois que c’est allé jusqu’au bout, rétrospectivement, on s’aperçoit que c’est pourtant bien par là que c’est passé, par ce chemin. Et il y a bien quelque part un moment où ça doit avoir basculé, où on ne peut plus se dégager : la drogue a fait son effet, les mots ne se laissent plus oublier, on est passé de l’altération à l’aliénation… On est possédé. Il y a fatalité, mais c’est une fatalité qui est faite de “je-ne-sais-quoi” et de “presque-rien”… Quand il s’agit de décrire ou de rendre sensibles ces transitions fines, Shakespeare est un maître." Quel rapport avec le posthumain ? Peut-être une vague intuition que "l'humain" ne se définit pas ici comme un domaine fixe défini/délimité par certaines propriétés (la raison, la parole, le rire), mais comme un complexe dynamique - en constant déséquilibre entre le divin et l'animal, à quoi il faudrait ajouter aujourd'hui la machine, peut-être ?...

BLIND DATE 3

VENDREDI 24 OCTOBRE 2008

SUJET

Le sujet que je vous propose est "la fin de l'époque de l'homme" ou bien, le "post-humain".


Je travaille ce sujet-là de différentes façons, dans mes derniers bouquins tels que : " Connaître est agir" (2006, édition La Découverte), ou bien "La santé à tout prix; médecine et biopouvoir" (2008, édition Bayard) , ou encore dans "L'éloge du conflit", avec Angélique del Rey (2007, édition La Découverte), ou encore dans "Le mythe de l'individu" (1998, La Découverte).

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MIGUEL BENASAYAG

Philosophe et psychanalyste, Miguel Benasayag est aussi un ancien combattant de la guérilla guévariste en Argentine, son pays d’origine, où il a passé plusieurs années en prison.

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