Moby Dick (en répétition) Orson Welles

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Que pensez-vous de la chasse à la baleine?

Une scène de théâtre aux heures de répétition.

La troupe est habituée à jouer Le Roi Lear mais aujourd’hui, le directeur accepte d’explorer un genre nouveau. Tous se lancent donc dans la lecture de la pièce Moby Dick.

Pas de décor approprié, pas de mammifère géant, une distribution incomplète. Qu’importe ! Premier coup de tonnerre. La troupe se retrouve sur le baleinier le « Pequod ». Le mousse tambourine, les harponneurs brandissent leurs armes, la jambe de bois du Capitaine Achab martèle les planches.

Un seul but, tuer la baleine blanche, Moby Dick. La chasse nourrit les peurs et les fantasmes. Les chants des marins répondent aux invectives du Capitaine. Dans ce chaos, le jeune Ismael observe l’équipage s’inventer une mer agitée et se débattre au coeur de ses passions.

Orson Welles (1915-1985). L’artiste polymorphe qui porte deux pièces de Shakespeare dans les studios hollywoodiens, transpose le célèbre roman d’Herman Melville sur les planches londoniennes

Extrait

  1. ACTE UN

SCÈNE: Un théâtre américain à la fin du XIXe siècle. Les théâtres sont souvent froids pendant les répétitions, et les acteurs ne se défont pas de leur pardessus longs et sombres, sauf quand l’action, ou les rôles qu’ils jouent, sembleraient demander des bras de chemises. Aucun accessoire de plateau n’est utilisé. Les harpons, rames, lances, pièces d’or, missels, cartes de navigation et téléscopes, devront tous être indiqués par gestes et mime. Pour faciliter la lecture, seul un minimum de didascalies sont données dans le texte. Il n’est fait référence que brièvement à la poursuite dans le baleinier, par exemple, en tant qu’action litérale, sans aucun essai de décrire les moyens avec lesquels les acteurs le suggéreront pendant la représentation. Il ne serait pas véridique de dire qu’il n’y a pas de décor. Le plateau n’est pas nu; il est, de façon intéressante et même romantique, pourvu de tout le bric-à-brac d’un théâtre à l’ancienne mode.

AU LEVER DU RIDEAU: Un plateau vide. Derrière la forêt habituelle de câbles pendants, de sacs de sable suspendus, de perches, de draperies de cadre de scène, de taps repliés, et d’étagères de coulisse, on entraperçoit le mur de brique nu du théâtre. Çà et là il y a les squelettes de praticables, sur l’un desquels se trouve un trône d’aspect plutôt miteux. Au moins deux tables, un certain nombre de chaises de cuisine et la sorte de petit orgue droit qu’on appelle un harmonium. (Il s’agit en réalité d’un orgue électrique camouflé.) Dans la lumière d’un éclairage de service, un JEUNE ACTEUR étudie une brochure. Une JEUNE ACTRICE est assise tout près, qui écoute pendant qu’il lit à haute voix:

LE JEUNE ACTEUR. – «Appelez-moi Ishmael…
Voici quelques années – peu importe combien –
je songeai à naviguer par-ci par-là
et voir l’étendue liquide du globe.
Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres,
et que mes yeux s’emplissent de brume; quand
s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre;
j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer.
Presque tous les hommes ont, une fois ou l’autre,
nourri, à leur manière, envers l’Océan, des sentiments pareils aux miens…»

(Quelques ACTEURS arrivent sur le Plateau pendant ce qui suit. Ils arrivent pour une répétition.)

«… Voici maintenant notre île-ville
par une rêveuse après-midi de Sabbat;
que voyez-vous? Sur chaque dock et sur chaque quai;
aux extrêmes limites de la terre ferme;
plantés comme des sentinelles: des milliers d’hommes,
figés dans des songes océaniques…»

(Se découpant partiellement en silhouettes, les figures muettes des ACTEURS groupés près du bord du Plateau suggèrent une illustration de ce qui est dit.)

«Des terriens rivés toute la semaine à des comptoirs,
cloués à des bancs, courbés sur des bureaux.
Est-ce le pouvoir magnétique des aiguilles des compas marins
qui les a-t-il attirés jusqu’ici?

Pourquoi les anciens Perses ont-ils tenu l’océan
pour sacré? – et la signification plus profonde encore
de l’histoire de Narcisse, qui, ne pouvant
faire sienne l’image tourmentante et douce
que lui renvoyait la fontaine, y plongea, et s’y noya.
Cette même image, nous la voyons nous-mêmes dans chaque rivière,
dans les océans et dans les lacs et les puits. L’image
de l’insaisissable – le fantôme de la vie;
et c’est la clé de tout…»

(Un court silence, puis un éclat de TONNERRE! Les ACTEURS n’y font pas attention, certains allument des cigares ou des cigarettes, et l’un d’eux se détend avec un journal. Le TONNERRE s’éteint brusquement et le RÉGISSEUR DE PLATEAU, en bras de chemise, passe la tête par par le bord du manteau d’Arlequin.)

LE RÉGISSEUR DE PLATEAU. – Qu’est-ce que vous en pensez?

LE JEUNE ACTEUR. – C’est très bien. (Se tournant vers l’ACTRICE en fermant la brochure.) C’était une sorte de prologue. Il y a de vraies scènes plus tard, bien sûr – avec du dialogue.

UN ACTEUR D’ÂGE MOYEN. – On sait, petit, on sait. Dieu nous en préserve, on nous a demandé d’en apprendre assez!

(Un autre soudain et fort éclat de TONNERRE, immédiatement suivi de la réapparition du RÉGISSEUR DE PLATEAU.)

LE RÉGISSEUR DE PLATEAU. – Ça c’était avec la feuille de métal plutôt qu’avec les tambours.

LE JEUNE ACTEUR. – C’est très bien.

UN ACTEUR SÉRIEUX. (Parlant à l’un des autres.) – Je me demandais, au sujet de mon rôle – oh, je vous demande pardon, – je ne pense pas que nous ayons été présentés.

UN VIEUX «PRO» (Cordialement.). – Je vous connais, bien sûr; – Kent, Richmond, Iago, Mercutio, notre nouveau Deuxième Plan. (Se présentant lui-même.) Personnage excentrique, Premier Comique et Utilités Générales.

(Ils se serrent les mains.)

L’ACTEUR SÉRIEUX. – Enchanté. – Et donc, à propos de ce «Starbuck» qu’on m’a demandé d’apprendre –

LE JEUNE ACTEUR (En rejoingnant le groupe.). – C’est le Second, un gars honnête et qui craint Dieu. On pourrait dire que c’est la seule voix de bon sens dans la pièce.

UN ACTEUR CYNIQUE. – De bon sens…?

(Un bref coup de VENT se fait entendre; puis un silence soudain et le RÉGISSEUR DE PLATEAU réapparait.)

LE RÉGISSEUR DE PLATEAU. – Ça vous convient?

LE JEUNE ACTEUR. – C’est très bien.

L’ACTEUR CYNIQUE. – Je ne pensais pas qu’il y aurait dans tout ce projet quelque chose qui soit aussi dément – excuse-moi, petit – que ce vieux capitaine à une jambe dans ton livre.

LE JEUNE ACTEUR. – Ne dites pas mon livre.

L’ACTEUR CYNIQUE (Plutôt de mauvaise humeur.). – Bon, je ne peux l’appeler la pièce de personne; et le Directeur est ton Directeur, petit. Tu es le seul ici qui ait pu le convaincre de se lancer dans ceci, – qu’on l’appelle comme on voudra.

LA JEUNE ACTRICE. – Si je comprends bien, ceci va être une sorte de lecture – ou plutôt une répétition générale sans costumes ni décor.

LE JEUNE ACTEUR (Vivement.). – C’est cela. Arrêtez de vous plaindre, tous; si ça ne marche pas nous ne le referons jamais.

LE VIEUX «PRO». – J’ai soif. Le Directeur ne vient pas?

LE JEUNE ACTEUR. – Bien sûr; il fait le sermon du Père Mapple et Achab. Nous faisons tous plusieurs rôles, comme vous savez. Ce n’est rien de nouveau pour cette compagnie. Le régisseur de plateau lit quelques voix de l’équipage du navire. Vous êtes Peleg…

LE VIEUX «PRO» (Interrompant.). – Peut-être, mais j’ai aussi soif.

LE JEUNE ACTEUR. – Ne vous en faites pas, nous descendrons le rideau après la deuxième scène dans la cabine…

LE RÉGISSEUR DE PLATEAU. – Rien qu’une bière, messieurs, s’il vous plait – n’oubliez pas, nous devons avoir quitté les lieux à temps pour que les régisseurs aient une chance de faire la mise en place pour ce soir.

L’ACTEUR CYNIQUE (Au JEUNE ACTEUR.). – Juste pour information, petit: tu as fait croire au Directeur que nous pouvions lui produire un naufrage, un typhon et un grand cachalot blanc dans ce théâtre – pour deux dollars?

LA JEUNE ACTRICE. – Un cachalot blanc?

L’ACTEUR CYNIQUE. – Le rôle titre, ma chère. On aurait pu s’attendre à ce que ce soit le Directeur qui joue Moby Dick lui-même, mais non, je crois bien qu’il doit être invisible tout du long. Le cachalot, je veux dire – pas le Directeur.

LE VIEUX «PRO». – Bien sûr qu’il est invisible. Bon Dieu, comment mettriez-vous donc une chose pareille sur un plateau?

L’ACTEUR AU JOURNAL. Nous pourrions essayer. Dans le haut de la ville, au Musée Barnum il y a une baleine empaillée qui rapporte plus un lundi matin que nous le faisons pendant une semaine de Shakespeare – en comptant les matinées.

LE JEUNE ACTEUR (Parlant toujours plus à la JEUNE ACTRICE qu’à qui que ce soit d’autre.). – Le cachalot blanc est comme la tempête dans «Lear» – il est réel, mais il est plus que réel; – c’est une idée de l’esprit.

L’ACTEUR CYNIQUE. – C’est une idée dans ton esprit, mon vieux.

LA JEUNE ACTRICE. – «Lear», c’est ce qu’on m’a convoquée pour répéter; mais si vous faites ce «Moby Dick» à la place, il n’y a aucun rôle féminin, alors j’imagine que je ne suis là que pour de la musique.

LE VIEUX «PRO». – Je me souviens de quand cette compagnie voyageait avec un orchestre.

L’ACTEUR AU JOURNAL. – Oui, mais les dernières saisons le Directeur l’a économisé avec cet harmonium.

(Le DIRECTEUR est entré pendant cette dernière réplique.)

L’ACTEUR SÉRIEUX (Qui ne l’a pas vu.). – Harmonium?…

LE DIRECTEUR. – Pourquoi pas? Tam-ta-tam, tam-ta-tam! Voilà que j’entre, et ils adorent. (Murmures de «Bonjour, Directeur.» Les ACTEURS assis se lèvent. Le DIRECTEUR, soixante ans bien passés et une noble crinière de cheveux argentés, est le directeur de compagnie classique de la vieille école. Son manteau Inverness est boutonné jusqu’en haut et d’un noir si sombre qu’il en parait presque clérical. Jusqu’à ce que la «répétition» commence son visage est assombri par un chapeau à large bords.) (…) Aujourd’hui nous allons traverser la nouvelle pièce…

L’ACTEUR SÉRIEUX. – Mais à propos de mon rôle…

LE DIRECTEUR (L’interrompant.). – Les rôles vous ont tous été distribués et, je présume, dument mémorisés. (…) (Il tend à l’ASSISTANT RÉGISSEUR DE PLATEAU un trousseau de clés.) Du brandy.

(L’ASSISTANT RÉGISSEUR DE PLATEAU sort. Le trône est évacué et il y a un remue-ménage de préparation pendant que le DIRECTEUR allume un cigare.)

(…)

LE DIRECTEUR (Au RÉGISSEUR DE PLATEAU.). – Allons-nous commencer?

LE RÉGISSEUR DE PLATEAU. – À vos places, s’il vous plait.

LE DIRECTEUR. – Nous vous serons reconnaissants de l’aide que vous pourrez improviser pour nous avec l’éclairage, M. le Régisseur de plateau, et pour les effets sonores que vous pourrez produire. (Protégeant ses yeux de l’éclat de la rampe et scrutant le gradin du théâtre.) Est-ce que le gars du décor est là? – Peut-être que ce filage lui donnera quelques idées…

LE RÉGISSEUR DE PLATEAU. – Nous avons utilisé un assez bon océan pour la scène de la fuite dans «Monte Cristo», M. le Directeur.

LE DIRECTEUR. – Je ne sais pas – ceci est plutôt comme une de ces pièces grecques. Il devra y avoir des moments où nous devrons le laisser aux mots – et à l’imagination. (Se tournant vers la DISTRIBUTION.) Messieurs, vos rôles divers vous ont été attribués. Mademoiselle Jenkins, comme nous manquons d’un petit enfant noir nous allons vous demander de nous lire «Pip», le mousse, uniquement aujourd’hui, et aussi de nous donner une musique appropriée… Nous allons passer à travers tout quoi qu’il arrive – c’est-à-dire, à moins que nous nous effondrions complètement, ou que nos amis là-bas décident qu’ils en ont assez. Cette fois-ci nous leur demandons un fameux coup de main: ils ont à nous fournir un navire complètement équipé, et quelques océans pour que nous puissions y voguer. Pour paraphraser grossièrement une bien plus élégante excuse que la nôtre: (Il s’est maintenant tourné franchement vers le public et s’adresse directement à lui.)
«Remédiez à nos imperfection par votre esprit;
Pensez, quand nous parlons de baleiniers, de baleines et d’océans,
Que vous les voyez – car ce sont vos pensées
Qui devront décorer notre scène, remonter le temps,
Condenser les accomplissements de nombreuses années
En une seule heure…»

(Un moment de pause, l’impact duquel est plutôt gâché par:)

L’ACTEUR SÉRIEUX. – Excusez-moi, juste un mot…

LE DIRECTEUR (Mécontent.) – Eh bien?…

L’ACTEUR SÉRIEUX. – À propos de mon rôle, celui de «Starbuck», qu’on m’a demandé d’incarner…

LE DIRECTEUR (Avec une patience délibérée.) – Eh bien?…

L’ACTEUR SÉRIEUX. – Je me demandais juste comment vous le voyez… l’interprétation?…

LE DIRECTEUR (Plutôt brusquement.) – Second de baleinier; tient tête au Capitaine – c’est moi…

L’ACTEUR SÉRIEUX (Interrompant en toute bonne foi.) – Oui, je sais, mais ce que je veux dire, c’est… puisque nous jouons ensemble, qu’est-ce que vous voulez que je fasse?

LE DIRECTEUR. – Que vous fassiez? Vous tenir à deux mètres et faire de votre mieux!

(Il se tourne brusquement vers le Lointain. La LUMIÈRE DES SERVICES s’éteint, et la JEUNE ACTRICE joue une sorte de «musique de précipitation» en guise d’ouverture à l’harmonium. Sous les ordres du RÉGISSEUR DE PLATEAU, il y a un tourbillon d’évacuation de chaises et autres préparatifs; puis – à son signal – le mouvement se fige, et après un court silence, la pièce commence. MUSIQUE: Un des ACTEURS joue de l’harmonica dans le fond.)

(…)

LE RÉGISSEUR DE PLATEAU (Il lit sa brochure.). – «Scène: Le baleinier Péquod sur le point d’appareiller. Entre Ishmael, et à sa suite Elijah (Élie), un vieux marin fou.»

ISHMAEL (Regardant le navire, et s’adressant gaiement au public.). – Vous avez sans doute vu, au cours de votre vie,
bien des embarcations pittoresques mais, croyez-moi,
vous n’avez jamais vu un vieux bâtiment
aussi extraordinaire que cet extraordinaire vieux Péquod.
Coloré par tous les temps, par les typhons
des quatre océans, son étrave vénérable
semblait barbue, et ses trois mâts
avaient la raideur de l’épine dorsale
des trois vieux rois de Cologne. Ses ponts antiques
étaient usés et ridés, comme la dalle vénérée
où fut versé le sang de Becket
à Cantorbéry.

Un navire d’une vraie noblesse, mais aussi d’une certaine manière,
d’une grande mélancolie… Toute chose noble en est empreinte.

ELIJAH (S’approchant d’ISHMAEL.). – Êtes-vous enrôlés sur ce navire ?

ISHMAEL. – Oui, je viens de signer le rôle. Bien le bonjour, Monsieur.

ELIJAH. – Pas de clause concernant vos âmes ?

ISHMAEL. – Concernant quoi ?

ELIJAH. – Peut-être que vous n’en avez pas. Aucune importance.
Je connais beaucoup de gars qui n’en ont pas.
Grand bien leur fasse; ils s’en sentent d’autant mieux.
Une âme, c’est quelque chose comme la cinquième roue d’un char.
Lui, du moins, il en a assez.
Lui, il en a assez
pour suppléer aux les déficiences de cet ordre de l’équipage entier.
Vous n’avez pas encore vu le vieux Tonnerre, n’est-ce pas?

ISHMAEL. – Qui est le vieux Tonnerre?

ELIJAH. – Achab. Le capitaine Achab.
Quelques vieux marins d’entre nous l’appellent ainsi.
Vous ne l’avez pas encore vu ?

ISHMAEL. – Il est malade, à ce qu’on dit, mais il sera bientôt tout à fait bien.

ELIJAH. – C’est vrai? Bien le bonjour, camarade, bonjour…
Vous embarquez?

ISHMAEL. – Bas les pattes, voulez-vous?

ELIJAH. – Le bonjour…
Vous n’embarquez pas, alors?

ISHMAEL. – Qu’est-ce que ça peut vous faire?

ELIJAH. – Le bonjour, camarade.
(
ISHMAEL va pour sortir.)
Vous vous êtes enrôlés, alors c’est vrai?
Vos noms figurent sur le rôle? Eh bien, ce qui est signé est signé,
et ce qui doit être sera; et peut-être bien aussi
que cela ne sera pas après tout. De toute façon tout est écrit,
prévu et j’imagine qu’il faut bien
qu’il y ait des marins pour partir avec lui, que Dieu les prenne en pitié!
Bien le bonjour à vous, camarade!

ISHMAEL. – Si vous avez quoi que ce soit
d’important à nous dire, sortez-le ! Et arrêtez de nous embobiner.

ELIJAH. – J’aime entendre des gars s’exprimer de cette manière-là;
vous êtes exactement les hommes qu’il lui faut, vous et vos pareils.

ISHMAEL. – Si c’est du Capitaine Achab que vous parlez,
j’ai entenu dire que c’était un bon chasseur de baleine…

ELIJAH. – C’est vrai; Mais il s’agit de bondir lorsqu’il donne un ordre.
Marche et grogne, grogne et marche, telle est la formule du capitaine Achab.

ISHMAEL. – C’est ce que j’ai entendu.

ELIJAH. – C’est ce que tu as entendu, hein?
Mais on ne vous a rien dit de ce qui lui était arrivé
au large du cap Horn, et comment il resta comme mort pendant trois jours
et trois nuits? Rien non plus de cette lutte à mort
menée devant l’autel avec l’Espagnol à Santa?
Vous n’avez rien entendu de tout cela, n’est-ce pas?
Rien non plus au sujet de la calebasse
d’argent dans laquelle il a craché? Rien non plus de sa jambe,
de la perte de sa jambe conformément à la prophétie ?

ISHMAEL. – Oui, je sais tout au sujet de la perte de sa jambe.

ELIJAH. – Tout? Tu sais tout? Tu en es sûr?

ISHMAEL. – J’en suis sûr. Et maintenant, si vous voulez bien…

ELIJAH. – Comment?

ISHMAEL. – En faisant un pas de côté! Je pars pour les océans
Indien et Pacifique et je ne veux pas être en retard.

ELIJAH. – Pour revenir avant le petit déjeuner?… Au revoir.
Je ne te reverrai pas de sitôt, j’imagine; à moins que ce soit
devant le Jugement Dernier. Le froid est plutôt mordant ce matin, non?

(ELIJAH sort.)