« Je suis impressionné qu’il y ait une telle incompréhension de ce qu’est notre pays, et que des gens puissent nous détester ; comme la plupart des Américains, je ne peux pas le croire, car je sais combien nous sommes bons. » dixit Bush Junior, President of the United States.
IN GOD WE TRUST, titre inspiré par l’intangible credo imprimé sur chaque dollar américain. Le collectif d’acteurs bruxellois francophones Transquinquennal cherche auprès d’auteurs américains contemporains la révélation des petits secrets de fabrication de la vérité et de la (bonne) conscience.
Le projet In God We Trust est né il y a trois ans, lorsque nous cherchions des textes contemporains étrangers et que nous nous posions la question suivante : « Qu’est-ce qui nous apparaît, nous Européens, comme le plus exotique ? La Papouasie Orientale ? L’Amazonie ? Le Tyrol ? » Finalement la réponse, la moins évidente mais au fond la plus criante d’honnêteté fut : « Ce qui nous ressemble le plus ! »
Nous nous sommes donc tournés naturellement vers les Américains.
Mais qui sont ces auteurs de théâtre américains ?
On ne connaît essentiellement que les « classiques » ou « naturalistes » (Arthur Miller, Tennessee Williams, David Mamet ou encore Sam Shepard) ou alors ceux qui écrivent pour le cinéma ou qui font du cinéma. Mais qui sont les autres ? Existent-ils ?
Nous avons commencé à investiguer et nous en avons trouvé mais, étrangement, personne ici en Europe n’en parle. Il y a donc aussi aux États-Unis des gens qui écrivent du théâtre et qui n’écrivent que du théâtre ! Et qui écrivent du théâtre qui n’est pas du cinéma !
La première de nos découvertes fut Wallace Shawn
Acteur, pour gagner sa vie, il joue beaucoup, notamment dans Vanya 42e rue de Louis Malle, dans plusieurs films de Woody Allen et régulièrement dans des séries comme Star Trek. Cela lui laisse la liberté d’écrire des textes qui, dans leur engagement et leur forme, n’ont rien à voir avec ce qu’il tourne de jour.
Shawn pose sur l’Amérique un regard « autre », fait entendre une voix autre que celle, plus tonitruante, à laquelle nous sommes habitués.
The Fever (La fièvre) est un texte curieux.
Dire qu’il s’agit d’un monologue serait en donner une fausse image : bien que le narrateur prenne conscience de dimensions de sa vie personnelle qu’il n’avait jamais envisagées, nous ne saurons jamais rien ni de son âge, ni de son sexe, ni d’aucune de ses particularités individuelles. De malaises en souvenirs, de questions en prises de conscience, il nous emmène pas à pas vers un constat sans issue.
Puis vint Mac Wellman
Mac Wellman récuse à grands cris l’omniprésence sur les scènes américaines du théâtre du « petit enfant qui pleure à l’intérieur de chacun de nous ». Il prône un théâtre qui parle de lui-même et qui soit conscient de ses moyens. Avec lui, nous sommes de plain-pied dans l’ici et maintenant, dans des représentations ludiques et échevelées.
Dans Albanian Softshoe (Quadrille albanais), c’est comme si les Monty Python s’étaient mis à écrire comme James Joyce après avoir couché avec Pinter. À moins que ce ne soit l’inverse. Ou bien le contraire. Ou un ménage à trois aussi, peut-être bien.
Wellman nous emmène où il veut et nous raconte avec brio des histoires américaines où l’utilisation des codes traditionnels du genre ouvre sur des perspectives plutôt inattendues. On pourrait par exemple dire que Quadrille albanais est un soap explosé en road-movie intersidéral, mâtiné d’épopées albanaises. À moins que ce ne soit l’inverse. Ou bien le contraire. Ou un ménage à trois aussi, peut-être bien.
« Tomates empoisonnées »
Une déclaration sur la logique et le théâtre
Par Mac Wellman
La logique du monde et la logique du théâtre sont identiques, mais leur relation n’est pas si simple, me semble-t-il. Certaines choses peuvent se passer sur scène qui ne se passent pas dans le monde « réel » et vice versa. Mais, sur scène, la logique d’événements par rapport à d’autres événements est la même que celle de la réalité ordinaire que nous habitons. Ce qui est appelé drame n’est que l’incarnation en geste et en langage de cette logique, cette temporalité.
Pourquoi, pourriez-vous demander, le relation entre ces deux logiques est-elle complexe ? Kierkegaard a dit qu’une relation directe à la déité était une définition du paganisme, et il voulait dire par là que la tentative de comprendre et de saisir la divinité par l’appropriation d’une définition humaine était de créer une idole, une apparition irréelle qui ne possédait pas de vérité. Si nous voyons le monde que nous connaissons comme un acte d’imagination collective, une idole de l’esprit moderne, il devient apparent que la réalité en tant que telle devient sujette au même danger – ou un similaire : le déclin du processus perceptif, la promulgation de la réalité d’une idole irréelle. Le bannissement du monde réel. En d’autres termes, la chose elle-même est remplacée par des images successives (répétitives) de la chose.
Dans le théâtre américain cette idolâtrie porte le nom de naturalisme. Son origine est la même que celle du paganisme dont a parlé Kierkegaard : le désir de restreindre toute expérience humaine à des étiquettes, des définitions, et des explications, et, de ce fait, substituer des rationalisations à l’expérience.
La logique de La mauvaise infinité est une tentative de suggérer la logique de cet acte perverti d’imagination collective. Il n’est pas intéressant à ce moment du temps humain de faire le portrait du monde tel qu’il semble être selon ses propres termes ; mais il est intéressant de dévoiler, en termes humains, la logique de son illogisme et ainsi d’atteindre au noyau de notre expérience humaine contemporaine.
Je suis un pessimiste, mais un pessimiste gai. Je crois, comme Beckett et Handke et Witkiewicz, que la profondeur est à la surface. L’intérieur est à l’extérieur. Mais nous ne sommes pas moins humains parce que nos espoirs et nos rêves et nos souhaits sont la matière de slogans et d’images publicitaires ; cela serait succomber aux répétitions – aux idoles de nous-mêmes. Non, c’est simplement que notre relation au drame de nos vies est devenu plus complexe, réflexif, obscur même. Il est important de savoir qui est derrière la voix rassurante, le geste délicat, la formule éloquente sur la liberté, l’indépendance et l’égalité . Les méchants n’ont plus l’air de méchants (l’ont-ils jamais eu ?), pas plus peut-être que les héros et les héroïnes.
Nous vivons dans un temps bas et méprisable, un temps où les idéaux sont moqués et tournés en dérision, où ce qui n’est qu’humain n’est pas indispensable, où ceux qui jouissent de la confiance officielle ont mis de côté toute prétention de désintéressement et pratiquent ouvertement la forme la plus grossière d’auto-accroissement. Le théâtre, en tant que province mineure du journalisme – et c’est à cela qu’équivaut l’institution théâtrale actuelle dans mon opinion – s’est accommodé de cet état de choses sans même en rougir. Je ne crois pas que je puisse beaucoup changer le monde en écrivant des pièces, mais je peux apporter une critique de la réalité – cet acte collectif d’imagination.
Nous avons besoin d’une douzaine de Mark Twain, d’une vingtaine de Bierce, une centaine de Mencken pour rendre justice aux temps actuels. Ceux d’entre nous qui sont engagés dans cette critique de la réalité apparente ne peuvent pas s’attendre à convaincre beaucoup de monde, encore moins pouvons-nous nous attendre à ce que nos points de vue aient le dessus (le temps pour tout cela est peut-être passé) ; tout ce que nous pouvons attendre, c’est de nous amuser un peu, partager quelques éclats de rire, et ressortir avec un brin de respect de nous-mêmes. Nous devons aimer la vérité non parce qu’elle nous favorise, mais parce qu’elle est la vérité.
Cette déclaration a été présentée au débat « La logique de la scène », organisé pendant une production de La mauvaise infinité par le Brass Tacks Theatre de Minneapolis en mai 1985.